Bulletin municipal n° 19 (1992)
La principale voie qui traverse Châtenoy et qui s’appelle aujourd’hui départementale 948, est le deuxième traumatisme important subi par notre terroir à cause d’intérêts extérieurs ou de l’intérêt général. Le premier fut le système du canal d’Orléans qui en isola une partie et qui coupa voies et parcelles mais qui est devenu un atout touristique. Le troisième est constitué par les lignes à haute tension, gêne à tous points de vue (sauf pour le budget communal), et handicap touristique.
Nous sommes il y a 150 ans, on va créer un axe nord-sud (la route départementale n° 12 d’Argent à Champrosay) qui remplacera des chemins au tracé qui convient à la plupart des indigènes mais aux courbes jugées irrationnelles et à l’entretien aléatoire (il pleuvait encore à cette époque…) Il s’agit d’une révolution. Jusque-là, depuis l’homme préhistorique ou le gaulois, on avait fait confiance à son pas ou au pas de l’animal et à sa vue. Le sentier puis le chemin, avaient leur logique commandée par la nature du sol, sa sensibilité à l’eau…
Avant 1700, avant le canal, dans l’angle actuel formé par la Route de Bellegarde et la route du
Pont Ganet partaient :
- vers le nord le chemin aux Bœufs qui passait à l’emplacement de la partie ouest de la maison de Monsieur Mugniot dont le tracé se retrouve le long de parcelles triangulaires,
- vers l’ouest le chemin de Châteauneuf, dont le tracé est conservé,
- vers le nord-est le chemin de Bellegarde qui après une courbe partait directement sur le gros bourg voisin.
Le creusement du Canal va modifier le tracé de ce dernier chemin en l’obligeant à un détour par le Pont-Ganet, construit dans l’axe des chemins de Blézine et de Guyardmaison. La route n° 12 va va aussi modifier les habitudes et laisser des traces écrites.
Contestation du tracé
Deux courriers du Préfet (22 septembre 1842 et 30 mai 1843) confirment au maire de Châtenoy, impatient, que les travaux sont arrêtés : « … le Conseil Général a demandé un rapport qui le mette à même de reconnaître s’il y a lieu ou non d’adopter une nouvelle direction». Des groupes de pression sont en action… En attendant un tracé définitif, l’entrepreneur est prié de ne pas continuer l’aménagement de cette nouvelle voie. Cet aménagement est donc commencé en 1842.
Traumatismes
Puis un tracé définitif est adopté.
Le 30 novembre 1843, le Préfet communique le texte de l’arrêté par lequel il «autorise les ingénieurs des Ponts et Chaussées et les agents sous leurs ordres à pénétrer dans les terrains clos et à ouvrir dans les bois les tranchées nécessaires aux études du tracé !», «entre la route n° 8 et Châtenoy sur le territoire de cette dernière commune». Il demande au maire d’appuyer de son autorité les membres des Ponts et Chaussées, pour qu’ils puissent exécuter leur travail – Il y a comme de l’opposition dans l’air. La propriété, c’est sacré.
Difficultés techniques
Nous sommes le 31 décembre 1844. L’Ingénieur des Ponts et Chaussées écrit au maire : « Dans votre lettre du 22 de ce mois, vous m’exposez la gêne résultant pour la commune de Châtenoy de la construction de la route départementale n° 12. Je ne puis disconvenir de l’exactitude des faits que vous alléguez, mais je suis forcé de maintenir l’état de choses actuel parce qu’il y a de nombreux inconvénients à répandre des matériaux sur un terrain détrempé par l’humidité et qui peut encore être bouleversé par le dégel».
Et il promet que cela sera fait le plus tôt possible et «espère que la commune n’aura plus que peu de temps à souffrir de la gêne… qu’il vaut mieux prolonger un peu afin d’assurer le bon état futur de la nouvelle route dont vous allez être doté». On comprend la gêne en question. La nouvelle route coupe les anciens chemins ou a des portions communes avec eux. On est obligé de l’emprunter alors qu’elle ne dispose pas partout de revêtement caillouteux. En hiver, les charrettes et les tombereaux doivent s’enfoncer et les piétons se tremper les pieds.
Promesse non tenue !
Le 7 juin 1845, le maire écrit à l’ingénieur : « J’ai l’honneur de rappeler à votre souvenir… que vous m’avez fait espérer que le répandage de cailloux aurait lieu aussitôt qu’il ferait beau. Comme voilà le beau temps et qu’il est à désirer que cette besogne soit faite le plus tôt possible, surtout depuis le bourg, jusqu’à la croix (Rouge) afin de pouvoir circuler librement pour serrer les foins et les grains… »
Manque d’argent
L’ingénieur admet le 24 juin 1845 avoir fait cette promesse mais « lorsque je vous ai écrit cette lettre, je comptais sur un crédit à peu près égal à celui de l’année dernière ; au lieu de cela, j’ai un crédit presque nul qui ne permet pas la continuation immédiate des travaux : je suis donc forcé de différer encore le répandage de cailloux parce qu’il me serait impossible d’établir un cantonnier sur ce morceau de route et d’y faire fournir les matériaux nécessaires à son entretien». Mais, grand cœur, il autorise la commune à l’entretenir à ses frais, en argent ou sous forme de journées, « avec quelques mètres cubes de cailloux».
Ventes
Le 21 décembre de la même année, c’est le Préfet qui correspond avec le maire pour l’acquisition de quatre parcelles nécessaires à la construction de la route. Les quatre propriétaires sont invités à signer les actes de vente qui les concernent, sauf le sieur Raffard, « puisque ce propriétaire a déclaré ne savoir signer ».
Arrêt des travaux
Encore un 31 décembre et encore des ennuis !
Réclamations
Le 1er mars 1846, le Préfet répond à la réclamation des sieurs Morin et Nollet. Ces derniers ont cédé du terrain à la route départementale, ils ont été indemnisés pour ce terrain, mais il leur est venu à l’idée que des arbres qui s’y trouvaient pouvaient aussi faire l’objet d’une indemnisation. Voilà ce que dit le Préfet : « Il résulte des renseignements que j’ai pris que sur les 12 arbres qui font l’objet de cette réclamation, il en existait 11 pour lesquels il n’y a pas lieu à indemnité puisqu’ils ne pouvaient servir pour construction et n’étaient bons que comme bois de chauffage». Quant au 12ème, un poirier, il rapportera 20 F aux réclamants.
C’est tout pour la période entre les années 1842 et 1846, au cours desquelles la route se met en place par tronçons. Dans un registre, à la date du 7 mai 1851, on parle d’ « une nouvelle route qui va être livrée à la circulation». Il aura donc fallu une dizaine d’années pour mener à bien l’ensemble des travaux. Attention : il faut imaginer sur le chantier tombereaux, chevaux, pelles à main, bêches, fourches à cailloux et aucun bruit de moteur !
On apprend par les registres des délibérations que le 11 juillet 1850, le conseil municipal déplore qu’on ne prévoie plus l’entretien du chemin de Bellegarde, « attendu que Bellegarde est le marché le plus rapproché de Châtenoy ».
Il est vrai que la nouvelle route d’Argent à Champrosay procure une communication aux deux communes mais cette communication a le double inconvénient d’allonger les distances d’au moins deux kilomètres et de ne pouvoir desservir une grande partie de la commune… éloignée de ladite route.» (La Lionnerie par exemple).
Aujourd’hui, on aurait ajouté que le volume et la vitesse du trafic la rendent beaucoup plus impressionnante que la route de Lorris, qui va devenir le marché favori des Castanéens.
Expropriations
Tout n’est cependant pas réglé, en particulier dans la traversée du bourg. Un décret signé par le Maréchal de Mac-Mahon le 28 décembre 1874 autorise des expropriations pour donner à la route la plus grande largeur possible, compte tenu des implantations de maisons.
Les nouveaux alignements vont permettre cependant une acquisition par un des riverains, M. Ménigault, (30 m2 environ, pour 22 f 63 c) grâce à un arrêté étonnant : «L’an 1876, le 24 juillet, par devant nous Ménigault François, maire (représentant le préfet) est comparu Ménigault François domicilié à Châtenoy…»
Le reste est de l’histoire récente : goudronnage, élargissement, accotements réduits, plus de
vaches pour y brouter, qui assuraient l’entretien gratuit, plus de mousserons, surélèvement : la route n’est plus pour les Castanéens, mais pour ceux qui ne font que passer à Châtenoy.