Bulletins municipaux n° 7, 8, 9 (1986, 1987)
Monsieur Raymond Brugère, qui fut ambassadeur de France, a fait paraître en 1933, à compte d’auteur, pour les siens, un petit livre, résultat de ses recherches et de ses méditations à propos du domaine et du château de La Rivière. Ce livre est orné de neuf dessins de Madame Brugère.
Il nous a paru intéressant de le porter à la connaissance de ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de le découvrir. Les enfants de M. Raymond Brugère ont très aimablement accepté cette publication, tout en faisant remarquer qu’il s’agissait autant d’une œuvre de poète que d’une œuvre d’historien (Par exemple, des renseignements récents permettent de dire que
« châtaignier » et non « château » est à l’origine du nom de Châtenoy). Le beau château de briques, protégé par sa boucle de canal, devient, par amour familial…. ? – C’est le privilège des écrivains – le centre du monde.
« Au pays de ma mère il est des bois sans nombre. »
L’origine de la « terre » de la Rivière est fort ancienne, tellement ancienne que l’on se demande si elle ne remonte pas aux temps fabuleux où les bonnes fées de la forêt d’Orléans se plaisaient
à construire, dans des clairières de leur fantaisie, sinon de magnifiques châteaux du moins de coquets rendez-vous de chasse et d’amour. Tel fut le cas, affirme la légende, pour le château de Chamerolles, proche de Chilleurs-aux-Bois. Et cependant l’histoire est là pour nous rappeler que bien avant même la période gallo-romaine, à une époque où de grands conciles druidiques se tenaient sous les ombrées de Thifontaine, le petit coin de Gâtinais qui est le nôtre était peuplé d’hommes libres, de « leudes », déjà stables, déjà rivés à la terre, déjà constructeurs.
Les fées ont-elles créé le beau dans l’esprit des hommes ou bien est-ce au goût du beau inné chez les hommes qu’elles doivent leur existence ? Qui le saura jamais ? Toujours est-il que sous l’action sans doute pour elles dissolvante de ce qu’on est convenu d’appeler avec fatuité « progrès », les bonnes fées désertèrent nos parages. De malins esprits les y remplacèrent pour un temps. Ils disparurent à leur tour : les quatre derniers spécimens, « noirs comme des corbeaux » volant de branche en branche sur les hauts arbres des bois de Chicamour, en furent aperçus le jeudi 26 mars 1620 par le baron de Bourbeuil. Depuis lors il n’y eut plus de bonnes fées ni de malins esprits, ni de magiciens pour construire de beaux châteaux en lisière de la forêt d’Orléans : ceux qui subsistèrent furent confiés à la seule conservation des hommes, c’est dire qu’ils connurent des vicissitudes diverses.
Le village de Châtenoy, autrefois Châtenoy-aux-Bois, doit son origine comme son nom au château qui existe sur son territoire et qui fut appelé tout naturellement de la Rivière, le ruisseau l’Huillard y prenant – ou à peu près – sa source. La dénomination latine « Castanatum-in-bosco », sous laquelle cette commune était désignée, figure dans un vieux texte de l’Abbaye de Fleury-St Benoît remontant au IXème siècle : ceci permet d’affirmer que le fief de La Rivière existait déjà à l’époque prodigieuse de Charlemagne et de Roncevaux.
De solennels accords passés entre l’Archevêque de Sens, alors « Primat des Gaules… et de Germanie », et le puissant abbé de St- Benoît fixèrent en 1077 et 1180 les droits que ces deux hauts prélats se reconnaissaient l’un l’autre sur leur paroisse frontière de Châtenoy. A l’époque où le premier de ces ajustements de juridiction ecclésiastique intervint, le Comté du Gâtinais venait de passer à la couronne de France ; ce fut en effet en 1066, l’année même où le puissant duc de Normandie s’assurait à Hastings la conquête de l’Angleterre, que le misérable petit roi de Paris et d’Orléans – obligé aux portes mêmes de sa capitale de traiter d’égal à égal avec le Seigneur de Montlhéry – s’assura par un accord avec Foulques-le-Réchin la pleine et directe souveraineté de la vaste région gâtinaise qui, en bordure de l’Orléanais et de la Bourgogne, s’étend de la Loire jusqu’au delà de Melun et de Fontainebleau. – Sens en était le chef-lieu.
Etait-ce pour asseoir dans cette région lointaine son autorité, pour affirmer que cette première acquisition n’était qu’un départ de grandeur ou bien était-ce simplement par goût de la chasse… que le roi Philippe 1er tint à s’installer lui-même dans le coin le plus méridional du Gâtinais qui représentait alors le fin fond de son royaume ? Toujours est-il qu’il fit construire vers 1080 à Lorris un vaste palais et que pendant près de deux siècles et demi ses successeurs les rois capétiens vinrent tous régulièrement l’habiter… C’est de Lorris qu’à partir de 1108 et jusque
vers 1324 que furent datées certaines des plus anciennes et importantes chartes du Royaume. De ce vaste palais, de ce passage ininterrompu de rois – et de très grands – il ne reste de nos jours pas plus de trace qu’il n’en subsiste de Ninive ou de Babylone.
Le choix de Lorris semble bien avoir été commandé, comme toute décision humaine, par un facteur d’ordre personnel. Philippe 1er avait à se faire pardonner une brouille avec le saint Siège, conséquence d’amours blâmables et d’un second mariage plus critiquable encore. Cette brouille l’avait empêché – sanction grave – de s’en aller avec les premiers Croisés à la conquête de Constantinople et de la Terre Sainte. Son Canossa fut l’Abbaye de Fleury-sur-Loire, sise à St-Benoît à faible distance de Lorris : cela valut à la sainte abbaye des prévenances royales exceptionnelles, dont celle de garder le Roi repentant dans sa proximité immédiate. Pour sa mort, Philippe 1er fit mieux encore : il exprima l’ultime volonté d’être inhumé sous la basilique même de l’abbaye. De Melun, où il mourut le 20 juillet 1108, son corps fut transporté par ordre royale à épaules d’hommes ou plutôt de seigneurs jusqu’à St-Benoît : son fils Louis VI le Gros, tantôt à pied, tantôt à cheval, suivit le cortège. Il faut ainsi donné aux occupants d’alors de la Rivière de voir, un peu en avant de la lisière actuelle de la forêt, au point limite nord où commençait le domaine de l’Abbaye, le symbolique spectacle de la dépouille royale passer des épaules des Seigneurs à celles de moines pour être de là transportée et déposée à St-Benoît.
Rentré dans son palais de Lorris, Louis VI n’oublia pas les prières dont il convenait de faire entourer la tombe de son père. Il faut croire qu’il en fallut beaucoup car à cette pieuse intention d’importantes donations furent faites à l’abbaye de Saint-Benoît : c’est ainsi qu’en 1108 celle-ci devint propriétaire de plusieurs milliers d’hectares en forêt d’Orléans et de terres de culture dont certaines étaient situées sur la paroisse de Châtenoy. La région passée sous l’administration monacale y trouva d’ailleurs d’incontestables avantages : des travaux de desséchement et de défrichement furent entrepris et transformèrent des bas-fonds marécageux en champs de céréales exploités depuis lors presque sans interruption.
A l’exemple de Philippe 1er et de Louis-le-Gros, nombreux, a-t-il été déjà indiqué, furent les rois capétiens pour qui Lorris devint quelque chose comme devaient être Montargis et Fontainebleau pour les Valois, comme est à l’heure actuelle Rambouillet pour nos Présidents de la République. Qu’il s’agisse de Louis VII, l’habile exploiteur des libertés dites communales dont les hauts et les bas conjugaux valurent à la couronne royale puis lui firent perdre pour un temps la Guyenne, que ce soit Philippe-Auguste dont le long et illustre règne, immortalisé par Bouvines (1214), fit faire un bond si prodigieux à l’autorité royale et à l’agglomération de la France, que ce soit Saint-Louis qui, pour l’édification – hélas chimérique – des hommes politiques de tous les pays et de tous les temps, sut allier les plus pures vertus à la compréhension la plus agissante des intérêts publics confiés à sa garde, tous ces rudes souverains de la France en bas-âge vinrent régulièrement entre deux guerres, deux croisades, deux séjours à Paris, Orléans ou Vincennes, faire des villégiatures prolongées à Lorris. Ils y étaient attirés, écrit un vieux chroniqueur « par la doulceur du pays et du climat et aussi par le désir de se délasser dans la forêt au jeu – ce n’était pas encore un sport ! – de la chasse ».
Ce serait d’ailleurs une erreur de croire qu’ils s’y reposaient. Les grands évènements historiques que furent la concession par Louis VI de la charte dite des « coutumes de Lorris », la signature en janvier 1243 de la fameuse paix de Lorris conclue, entre Saint-Louis et le Comte de Toulouse, témoignent du rôle que cette résidence royale joua aux XIIème et XIIIème siècles comme centre politique… Qui dit centre politique sous-entend centre économique, artistique, religieux, social… De fait dans l’histoire de Lorris on relève dans tous ces domaines des manifestations non négligeables d’existence et d’activité. Des manufactures de draperies, des florissantes pelleteries, des poteries, créées par la nécessité de pourvoir, en échange de certaines franchises aux besoins de la Cour, y étaient installées. Guillaume de Lorris, vers 1237, y composa la première œuvre littéraire française, le Roman de la Rose – « où l’art d’amour est toute enclose ». Des hôpitaux et léproseries y fonctionnèrent. L’église construite sous Philippe-Auguste, où se sont accomplis quantité de miracles dûment enregistrés en 1470 par l’Official de Sens, se flattait de posséder un trésor composé des plus belles reliques et des plus riches pièces d’orfèvrerie.
De tout ce passé, que reste-t-il ? – En dehors de l’Eglise au reste en grande partie reconstruite, un crapaud sur une pierre rongeant – est-ce assez symbolique ? – l’oreille d’un mort et au-dessus d’une porte de la Grand’rue une effigie sculptée des quatre fils Aymon caracolant sur Bayard…
S’il ne reste rien à Lorris même de la grande période de faveur royale qui vient d’être évoquée, quels vestiges peut-on espérer, Saint-Benoît mis à part, en découvrir dans la campagne environnante ?... L’exemple de la Rivière est là pour montrer l’inanité de pareille recherche. Tout juste en creusant le sol trouverait-on quelques pierres mortes, cadavres ensevelis d’un passé à jamais éteint. Et pourtant nous savons qu’au IXème siècle et sans doute bien avant, il y existait déjà un château, une seigneurie. A qui appartenait cette terre sur laquelle Philippe-Auguste et Saint Louis durent si souvent courir le cerf, chasser au faucon, à l’épervier – « à la huée » ? Mystère, tout juste peut-on présumer que le nom du Seigneur d’alors figure sur cette curieuse liste de « Chevaliers, nobles, veuves et écuyers de la baillie de Lorris » remontant à la fin du XIIème siècle, conservée aux Archives nationales. Etait-ce un Chevillon, un Beauchamp (La Rivière est à cheval sur les deux communes de Châtenoy et de Beauchamps), un Montbarrois, un Gratelou ?...
L’emplacement même de l’ancien château est incertain. On est réduit à supposer qu’il s’élevait, comme le veut la tradition locale, dans la partie la plus élevée du parc actuel, dans ce fouillis de bois, à hauteur de la Chalousie où se trouve encore dessiné contre la levée du canal un quadrilatère parfait de douves d’une quarantaine de mètres de côté. Peut-être, quelque temps les soubassements solides de ce château ont-ils abrité une tuilerie et puis la végétation, cette source de vie qui pour d’éternels recommencements naît si souvent de la mort, a repris avec exubérance et ironie le dessus, effaçant à jamais le travail passager et illusoire des hommes… Il convient de reconnaître que l’endroit désigné de la sorte correspondait au goût et aux besoins de l’époque. De là, le château dominait, avec cette discrétion de vallonnement qui est dans la note aussi bien physique que morale du pays, le petit village de Châtenoy. A proximité l’eau vive et bouillonnante des sources coulait d’abondance… Tout autour s’épandait la vaste forêt aromatique où à l’aube, à la « piquette du jour », garenniers, veneurs, valets de chiens s’assuraient, pour la chasse du maître, de la présence dans le voisinage de pièces de choix, cerfs, chevreuils, loups ou renards…
Faute de descendance mâle, les Capétiens disparurent : après eux vinrent les Valois ; avec ceux-ci les prétentions dynastiques de la Couronne d’Angleterre qui, ne reconnaissant pas la loi salique, revendiquait pour Edouard III, fils d’Isabelle, le royaume de France. Ce fût la guerre de cent ans, les désordres, le pays ravagé, les terres en friche, les villages et demeures abandonnés. Nulle contrée de France ne souffrit plus que le Gâtinais de cette longue période de luttes intestines et d’invasions étrangères. La région Montargis-Lorris dont une assez grande partie – particulièrement la forêt – avait en 1345 été donnée en apanage aux ducs d’Orléans, fut particulièrement éprouvée. A deux reprises en 1413 et 1427, les Anglais saccagèrent de fond en comble le pays. Pillages, incendies volontaires, enrôlements forcés, exactions de toutes sortes firent, sous la domination anglaise – on pourrait dire en évoquant, par analogie, des souvenirs plus récents – sous la Kommandatur du duc de Bedford, payer cher à notre population rurale sa fidélité à la maison royale de France et son enrôlement sous la bannière de Jeanne.
Ce fût à cette époque que l’église de Châtenoy, qui datait du XIème siècle, fut presque entièrement détruite ; il n’en subsiste que l’humble sanctuaire encore debout à l’heure actuelle. Notre village n’en fut pas moins plus favorisé que la paroisse proche de Beaune la Rolande, dont, de toute l’église brûlée par les Anglais dans les mêmes conditions, on ne retrouva, affirme l’historien Dom Morin, qu’une Saint Hostie « intacte dans les cendres ». Sans doute, en même temps que l’Eglise, fût rasé le vieux château capétien de la Rivière…
Le château actuel, sur des soubassements peut-être plus anciens, a été construit dans la seconde moitié du XVIème siècle, probablement vers les années 1570-1580. A cette date, les bourrasques successives de la Guerre de Cent ans s’étaient depuis longtemps apaisées ; le calme, la joie de vivre et le luxe, étaient revenus dans nos régions. A défaut de Lorris, laissé au souvenir de ses splendeurs défuntes, la faveur royale se fixa tour à tour sur Nibelles où Louis XI se plaisait à séjourner dans son château de la Motte d’Egry, sur Boiscommun qui faisait les délices de Charles IX.
Autant le début du XVème avait été pour le Gâtinais orléanais, une période de désolation, autant le XVIème siècle ramena sur cette province vogue et prospérité. Celles-ci eurent leur apogée sous les derniers Valois. Les Rois ne se contentèrent pas d’y venir : ils y installèrent leurs meilleurs serviteurs, leurs plus renommés maréchaux, en même temps, pourquoi ne pas le dire, leurs petites et grandes amies. Charles IX acquit pour Marie Touchet, à Nibelles, le château du Hallier. Le premier Bourbon, Henri IV, qui avait de ses devanciers quelques leçons de raffinement à prendre, suivit son exemple. Après s’être donné pour maitresse la fille même de Marie Touchet, la belle Henriette d’Entragues, il viendra régulièrement la courtiser au château de Chemault, à quelques centaines de mètres de Boiscommun…
D’après dom Morin, qui écrivait en 1620, le Gâtinais passait d’ailleurs pour la région la plus salubre du royaume. Les reines, tenues plus que toutes autres d’avoir des enfants sains et bien équilibrés, venaient de préférence y faire leurs couches. Les Forêts, où l’on chassait à l’épervier les premiers faisans, y étaient giboyeuses ; le poisson des étangs et du Loing était le seul de tout le royaume que l’on considérait comme digne de la Table royale. La mode, cette grande capricieuse, était alors en faveur de notre province ; tout ce qui comptait comme grande famille la lança. Qu’il suffise de citer dans la proximité immédiate de la Rivière, les de l’Hôpital de Bellegarde, les de Vitry à Nivelles, les de Bassompierre à Chemault. Les ordres religieux suivirent le mouvement : en dehors des vieilles abbayes de St Benoît et de Ferrières, ils fondèrent les monastères ou prieurés de Villemoustiers près de Ladon, de Notre Dame de Flottin près de Boiscommun. Cette mode fut également adoptée, comme il se devait, par les nouveaux riches, les financiers puissants ; le plus grand, le plus somptueux de tous, Jacques Cœur, flairant les hausses, acquit dès 1540 la seigneurie de Beaumont (à moins de 25 kilomètres de Châtenoy).
Cet achat fut un coup de fortune pour la région et tout spécialement, nous allons le voir, pour La Rivière. La terre de Beaumont, un moment confisquée, fut restituée par Louis XI aux héritiers de Jacques Cœur ; elle devint la propriété de son fils Geoffroy dont la Fille Germaine, épousa le 17 septembre 1493 Louis de Harlay… mariage qui est à l’origine non seulement de l’installation des Harlay dans le Gâtinais mais aussi de leur incroyable ascension vers les hautes charges et la fortune.
En l’espace de trois ou quatre générations, cette famille originaire de Franche-Comté put s’enorgueillir de compter deux Achille de Harlay, les « Caton de leur âge », présidents l’un et l’autre du Parlement, un archevêque – cardinal de Paris – trois ou quatre ambassadeurs, plusieurs lieutenants généraux et évêques. Louis de Harlay et Germaine Cœur n’eurent pas moins de dix huit enfants : le troisième d’entre eux, Robert, acquis d’Adrien Oudet, écuyer, la terre de la Rivière.
Après son mariage en 1544 avec Jacqueline de Morvilliers, Robert de Harlay, auteur de la branche de Harlay-Sancy, fit construire à Paris, un somptueux hôtel agrémenté du plus beau jardin que l’on puisse imaginer, hôtel qui par la suite devait devenir rien moins que le Palais du Luxembourg. Cela dénotait chez cet arrière petit-fils de Jacques Cœur un certain penchant héréditaire pour la construction : il disposait pour le satisfaire de puissants moyens financiers. Son fils, Nicolas, en eut davantage encore. Nicolas de Harlay-Sancy, « employé en plusieurs fois par les Rois de France à de grandes et honorables charges tant d’Ambassades que ès-armées », n’est pas célèbre seulement par l’aide qu’il rendit à Henri III devant Pontoise, à Henri IV pour son entrée à Paris : il l’est aussi et bien davantage peut-être par le prêt de soixante mille livres qu’il fit en 1589 au roi du Portugal et en garantie duquel lui fut remis le fameux diamant qui depuis lors porta son nom. Le « Sancy », brillant second, fit longtemps, aux côtés du Régent, partie des diamants de la Couronne…
Quoi d’étonnant dans ces conditions qu’à eux deux, le père et le fils, qui n’étaient pas branche aînée et n’avaient pas à leur disposition le Château de Beaumont, propriété de leur neveu et cousin, se soient mis l’un à construire, l’autre à achever, dans un pays où il était de bon ton de se montrer, à proximité du château familial, l’exquise petite fantaisie architecturale qui dut être pour eux la gentilhommière de La Rivière.
Ses proportions réduites jointes à une élégance peu commune, apparente, pour ce qui est de la conception, cette demeure seigneuriale plus coquette qu’imposante et d’un style tout transitoire à ces constructions mignardes de la fin du XVIIIème siècle que l’on désigne communément sous le nom de « folies »…
Le donjon massif et carré des manoirs féodaux y subsiste, mais sous une forme discrète et atténuée ; il n’est plus, bien loin de là, l’essentiel du château : il lui sert d’entrée.
Au lieu des quatre poivrières classiques, il n’en compte que deux, ce qui lui assure une seule façade et lui permet de se fondre en une parfaite harmonie au corps du bâtiment, déjà Louis XIII, qui lui est accolé latéralement en équerre : ce corps de bâtiment, en rez-de-chaussée, librement ouvert de bout en bout d’un côté sur une cour à communs, de l’autre sur un jardin, est flanqué de deux tours dont les dimensions sont ainsi calculées que la plus éloignée, d’un diamètre double de la première, forme dans une parfaite proportion contrepoids à la masse d’entrée. Difficile de savoir si l’architecte qui conçut La Rivière est le même que celui dont Robert de Harlay se servit pour sa demeure (disparue en tant que construction) du Luxembourg, mais le certain est que l’ensemble est signé d’un grand artiste doublé d’un homme de goût…
L’insécurité médiévale avait tout naturellement fait placer l’ancien château sur une élévation, ou un semblant d’élévation. Les temps ont changé. A la fin du XVIème siècle, on peut s’installer impunément dans un fond de vallée ; les de Harlay adoptent un coude du Huillard tout en fraîcheur et air. Par tradition on garde bien une ceinture protectrice d’eau, mais les douves n’enserrent plus le château ; elles sont devenues fossés et encadrent sans l’étouffer l’ensemble de la demeure, cour et jardin compris. Seul les franchissait un pont levis se rabattant sur le donjon. De celui-ci et dans son axe partait en ligne droite, fendue dans les bois, une avenue bordée de chênes de plus de dix mètres de large : elle aboutissait à une clairière, qu’en souvenir de quelque fête villageoise on avait accoutumé d’appeler « salle de danse » et se prolongeait de l’exquise perspective, toujours existante, des Fontaines bouillantes.
A la clairière, dans l’oblique à droite s’amorçait une autre allée désignée sur les vieux cadastres sous le nom d’allée du Golfe et qui permettait d’atteindre par les Chaumottes, en contournant la queue (le Golfe) d’un étang, aujourd’hui comblé, le village de Châtenoy.
Pour la réalisation et l’équilibre de cet ensemble, le travail des hommes s’était fait ménager de la forêt. Il s’en dégageait une jeunesse d’harmonie peu commune La lumière, ricochant sur les couleurs vives du printemps ou patinées de l’automne, se plaisait, dans ce bas-fond perdu de vallée, à donner vie et mouvement au bleu et rose dont par ses ardoises et ses briques la gentilhommière, nouvellement construite, se trouvait composée.
Bien que certains défrichements malencontreux aient quelque peu gâté depuis lors le caractère propre de La Rivière (Castanatum-in-bosco), cette impression subsiste. Le crépi assorti, dont elles étaient primitivement revêtues a assuré aux briques, curieusement placées par endroits les unes sur champ, les autres de biais, un état et un éclat unique de conservation rose-tendre.
Malgré tout son charme, La Rivière n’était pas l’échelle de Nicolas de Harlay, détenteur du second plus gros diamant de France et qui, dès son jeune âge guerroyant en Savoie, avait victorieusement assiégé pour Henri III le Château, aux souvenirs plantureux, de Ripaille, de Ri-pen-paille pour prendre la savoureuse et cynégétique déformation donnée à ce nom de château par un garde-chasse ami en un jour de « ripailles ». Aussi, à peine la construction achevée, La Rivière, fut-elle cédée par Nicolas de Harlay à sa fille dame Charlotte… Celle-ci se maria en 1596 à Pierre de Breauté, perdit de bonne heure son mari et finit carmélite.
De Charlotte, la propriété passa à son frère, Achille, qui scella de ses armes une des pierres d’accès du pont-levis. Bien que ces armes aient été grattées, on distingue encore très nettement surplombant l’écusson « à deux pals de sable » la trace d’un chapeau ecclésiastique à trois glands de chêne. Les glands de chêne ont disparu des armoiries pour faire place aux glands à frange vers 1600… Trois glands signifiaient que le titulaire était « abbé » gouverneur d’une abbaye.
De fait Achille de Harlay a été de 1602 à 1606, l’abbé commendataire, c’est-à-dire désigné par le Roi de St Benoit. A peine âgé de 25 ou de 26 ans, il succéda dans cette rémunératrice situation à Charles d’Orléans, fils naturel de Charles IV et de Marie Touchet. La saint abbaye avait été l’un des plus grands centres de Piété et de culture de la France médiévale : elle était devenue au XVIème siècle le refuge d’une quinzaine de rentiers célibataires, d’humeur fort accueillante et dont la morale comme la tenue étaient loin d’être sans reproches. Leur abbé était sans autorité sur eux : il se contentait de percevoir une vingtaine de mille livres, de rente, revenu considérable pour l’époque. La place, véritable prébende, était très recherchée : en trois siècles de régime commendataire on compte parmi les abbés de St Benoît, dix archevêques ou évêques dont six cardinaux, un premier Ministre (Richelieu), un chancelier (Antoine Duprac), un Garde des Sceaux, deux protestants de marque, agissant par personne interposée, l’Amiral de Coligny et Sully. La désignation d’Achille de Harlay comme abbé de St Benoît illustre la haute situation dont la famille de Harlay jouissait à Paris au temps de Henri IV. Dans son ardeur de néophyte, Achille de Harlay chercha à remettre de l’ordre et de la décence dans l’abbaye : il la plaça sous la discipline d’un nouveau prieur, changea l’administrateur et à titre d’avertissement (la mesure parut si monstrueuse que trace en fut gardée) fit interdire aux moines sous peine de prison de jouer à la paume hors du monastère.
Alla-t-il beaucoup plus loin dans la voie de la répression ? .. Il n’en eut guère le temps. Son frère aîné ayant été tué au siège d’Ostende, il renonça dès 1606 à son abbaye. Le bénéfice en échut à un autre puissant seigneur du voisinage, dont les terres touchaient au nord, comme La Rivière le faisait au Sud, le domaine de St Benoît et qui n’était autre que Maximilien de Béthune, duc de Sully, surintendant des finances d’Henri IV. Cet illustre homme était resté protestant. On peut se demander si de ce fait il était tout à fait désigné pour prendre la direction d’une sainte abbaye gardienne des reliques de St Benoît.
Ni le Roi ni le Ministre n’y trouvèrent d’obstacle dirimant. Peut-être Henri IV, amusé, chez qui le bon goût n’était pas la note dominante, vit-il dans cette désignation une application tout juste un peu poussée de l’édit de Nantes. Le Ministre bénéficiaire n’en chercha pas si long ; c’était de nouvelles rentes ajoutées à toutes celles, si substantielles, qu’il avait déjà réussi à s’assurer au service de l’Etat.
Sully n’était pas un ingrat. En échange de l’abbaye, Achille de Harlay reçut l’Ambassade de Constantinople. Il y resta de 1610 à 1619. Puis la vocation ecclésiastique lui vint ou revint. Pas fâché sans doute de donner de sa personne un démenti à la retentissante satire décochée par le terrible Agrippa d’Aubigné contre la foi chancelante de son père, l’ancien abbé de St Benoît, seigneur de la Rivières, se fit oratorien, fut le confesseur de la fille d’Henri IV devenue Henriette d’Angleterre et finit évêque de St Malo.
Les dernières années du XVIème siècle et les premières du XVIIème siècle constituent l’une de ces périodes débordantes qui, avec le retour trop rapide d’une prospérité excessive, marquent si souvent en France la fin de trop grands malheurs publics. Un terme venait d’être mis aux guerres de religion. Fatigués de s’entretuer, les grands seigneurs se prirent à s’entr’aimer. Plus on avait souffert, plus on voulut s’amuser, jouir ensemble d’une vie que l’on avait eu tant d’occasions de perdre. A pareille époque, les arts fleurissent, la grâce domine. C’est le triomphe de la prodigalité, du luxe, du bas de soie. Nous avons connu il n’y a pas très longtemps, une souriante décade d’années de ce genre. Nos pouvoirs publics, dans leur passivité, n’ont rien fait pour parer aux dangers de contagion que cet excès de débordement pouvait, devait nécessairement entraîner. A la fin du XVIème siècle, les dirigeants firent preuve de plus de clairvoyance. Ils disposaient, il est vrai, d’une autorité plus entière ; ils l’employèrent à défendre de leur mieux le bas de laine…
Le Gâtinais orléanais, avec toute la densité de châteaux, dont un aperçu a déjà été donné, avec toute la vie seigneuriale qui s’y étalait, risquait de devenir pour toutes les classes, y compris la paysanne, un foyer de dépenses et de déséquilibre social propre à réserver de fort pénibles lendemains. Aussi à la date du 15 février 1584, le prévôt d’Orléans prit-il pour tout le duché, le curieux, peut-être excessif, mais tout paternel règlement suivant :
« Défenses sont faites à toutes personnes de métier « ouvrant ou besoignant de leurs mains de porter velours, satin, taffetas à peine de confiscation et d’amende.
Et pareillement à tous moissonneurs, vignerons et journaliers de n’employer, aucun drap teint en autre couleur que le bleu.
Les serviteurs s’ils ne sont gentilshommes et les servantes, si elles ne sont demoiselles, ne porteront fraises empesées, ni mules, ni souliers à claque, défenses leur sont faites de se servir d’empois, passements, draps de soie, à peine d’amende tant contre lesdits serviteurs que contre leurs maîtres et maîtresses qui auront souffert ladite contravention… »
Quelle que soit la poussée de luxe révélée par un tel règlement, l’avertissement était certainement sans objet pour la rude population agricole et bûcheronne de Châtenoy. Et pourtant les occasions ne lui manquèrent pas d’admirer les belles manières de l’époque !...
Par ce qui a été dit sur les Harlay, on peut se rendre compte des hautes gens qui fréquentaient le pays et de la qualité des fêtes qui s’y donnèrent. Le passage de la reine Marguerite de Valois, épouse répudiée de Henri IV, donna lieu en 1605 à un surcroît de splendeurs.
Malgré ses cinquante ans passés, son embonpoint, sa calvitie dissimulée sous une aguichante perruque blonde, la reine Margot en imposait à tous autant par la qualité et l’ornement de son esprit que par le raffinement de ses goûts et de ses manières. Il s’y ajoutait le prestige des libertés sans nombre qu’avant comme après son mariage elle avait prises, vis-à-vis de son royal époux. En 1605, elle rentrait d’un séjour forcé qu’Henri IV lui avait imposé en Auvergne : elle retournait à Paris encore grandie de cet exil au cours duquel elle n’avait ni diminué son train de maison ni désarmé d’aucune manière. Son passage coïncidait avec le mariage à Bellegarde de Jacques de l’Hôpital, fils d’un de ses anciens « chevaliers d’honneur », avec Renée de Beauvau. Elle s’arrêta plusieurs jours au château de Bellegarde ; un fanal fut mis à cette occasion au sommet de l’une des tourelles du château. Le jour du mariage, elle arbora, sans doute quelque peu élargie à la taille, la fameuse robe en « drap d’or frisé » dont Brantôme nous a décrit le rayonnant attrait. Il fut donné à tout le voisinage de voir et d’admirer la Souveraine. Aussi, à son arrivée à Neuilly au château de Madrid, où Henri IV avait eu l’indélicatesse de la faire saluer par son ancien amant Jacques de Harlay, put-elle donner à ce dernier d’excellentes nouvelles de sa famille, de son pays d’origine, de ses cousins de Beaumont et de la Rivière… Ce fut une facile entrée en matière, après quoi l’on put évoquer de doux souvenirs, celui des draps de soie noire que l’on avait étrennés ensemble quelque trente ans auparavant…
Les jours glorieux et sombres de Richelieu de la Fronde et de Mazarin firent bientôt comprendre aux grands seigneurs que le temps n’était plus de jouer aux roitelets dans leur province. La nécessité pour eux d’une présence continue à la Cour s’imposa : elle ne fit que s’accentuer sous Louis XIV. Ce fut pour le Gâtinais la répétition de ce qui s’était passé trois siècles auparavant, à la disparition du dernier Capétien : l’exode, le déclin, l’abandon la chute en ruine de la plupart des châteaux de la région. Seuls les cadets de famille, les nobles peu fortunés s’imposèrent de vivre en « gentlemen farmers » sur des terres qui ne représentaient plus un élément de puissance mais l’essentiel d’un revenu familial déjà fort entamé par les dépenses auxquelles les aînés, pour tenir leur rang, avaient à faire face.
Alors que se fermaient les châteaux environnants de Chemault, de la Motte d’Egry, de Beaumont, et même, malgré quelques regains de vie, celui de Bellegarde, La Rivière aura eu la bonne fortune de demeurer habité aux XVIIème et XVIIIème siècles de façon presque ininterrompue. Ce privilège qu’elle doit sans doute à ses dimensions réduites, lui vaut d’être resté dans la région le seul échantillon intact et vivant de l’époque des derniers Valois.
Une dizaine d’années avant sa mort, Achille de Harlay céda La Rivière à Jehan Baptiste de Melun, issu de la famille des Lusignan, rois de Chypre et de Jérusalem, dont les parents habitaient à quelques kilomètres de distance, près de Ferrières, le château de Bignon, aujourd’hui Bignon-Mirabeau. Puis, en 1659 la propriété passa à Louis de Louviers, descendant d’un riche drapier de Paris, « ni vacher ni bouvier », dont François Villon en plusieurs vers célèbres plaisante les aspirations nobiliaires et les prétentions cynégétiques. A en croire Villon, cet élégant négociant partait bien à la chasse l’épervier au poing, mais il en revenait avec du gibier acheté (rien de nouveau) « chez la Machecou » marchande de volailles au Châtelet.
Louis de Louviers était marié à Geneviève de Gaumont. Leur fille épousa le 19 septembre 1686 Achille d’Assigny, apparenté aux de l’Hopital de Bellegarde et qui devint à son tour, à la mort de son beau-père, propriétaire de La Rivière. C’est vers cette époque (mars 1692) que fut achevé le canal d’Orléans : la construction faite à l’initiative et aux frais du duc d’Orléans en avait été décidée treize ans auparavant, par un édit royal rendu à St Germain et contresigné « Colbert ».
Le Canal modifia considérablement l’aspect de la contrée.
Le bief de dix huit kilomètres qui s’étend de Combreux au gué des Cens correspond à la partie la plus haute du parcours : son tracé suit la ligne de partage des eaux, c’est dire qu’il a un cours sinueux et rien de commun avec ces grandes routes d’eau rectilignes dont le mot canal évoque aussitôt l’idée. Cette nécessité de suivre les hauteurs aurait été pour l’ancien château un désastre. Dans son emplacement actuel, en fond de vallée, la Rivière en tire au contraire d’inappréciables avantages. A une distance variant de 800 à 1 200 mètres, le canal ceinture en une boucle harmonieuse, légèrement surélevée, l’essentiel de la propriété. On ne peut rêver clôture plus plaisante ni mieux adaptée au Gâtinais, « pays de sources et d’herbages dont au soir le canal reflète en une eau d’or la lune et son beau clair fondu sur les bocages. »
Le Marquis Achille d’Assigny eut pour héritiers un fils, Jean Baptiste, marié à Marie Louise David de Bousquet, et une fille qui en 1733 épousa le Comte François-Charles de Sampigny, capitaine au régiment de Vaudement, de la famille lorraine des Sampigny-Rehez. Les deux beaux-frères, à la mort de leur père et beau-père, gardèrent indivise la propriété. Jean Baptiste d’Assigny mourut le premier, laissant une fille née à la Rivière le 28 juillet 1743 : celle-ci, à la mort de sa mère survenue en 1754 fut recueillie et élevée par ses oncle et tante ; elle épousa en 1762 son cousin germain Louis-Charles de Sampigny, officier dans la deuxième compagnie des mousquetaires « noirs » du Roi, Chevalier de l’ordre royal et militaire de St Louis. Les Louis Charles de Sampigny semblent avoir partagé leur temps entre leur hôtel de Chaillot-près-Paris, leur château de Villiers à côté de Montrichard en Touraine et La Rivière. Ils firent dans cette propriété des séjours prolongés : dans les registres d’état civil de Châtenoy, on relève à la date 29 mai 1765 la naissance dans leur ménage d’une fille, puis le 14 juin 1768 celle de leur fils aîné, messire Antoine-Henry-Louis. Devenu veuf, le Comte Louis-Charles de Sampigny épousa à Paris Marie-Josèphe Le Juge, fille de Messire Nicolas, Conseiller au Châtelet. La révolution venait d’éclater.
Il ne semble pas que la population paisible de Châtenoy, ait abusé contre les Sampigny des droits que lui conférait le triomphe des idées révolutionnaires. Les doléances de la commune, telles qu’elles se trouvaient pour les Etats Généraux exposées dans les cahiers du baillage d’Orléans se résumaient au reste dans les deux points suivants : l’église, trop petite pour l’affluence des fidèles, devrait être agrandie et le revenu de la cure porté à deux mille livres. A cette époque (24 février 1789) le curé tenait encore la plume ; nul doute qu’aujourd’hui ce serait l’école dont on proposerait la reconstruction et l’instituteur dont le traitement serait jugé insuffisant… Pour ce qui est des rapports avec les ci-devant Comtes de Sampigny, aucune trace d’animosité n’est à relever. Malgré d’incessantes dénonciations, un grand nombre de certificats de résidence et de civisme furent délivrés durant les pires jours de la Terreur aux châtelains de la Rivière – y compris deux ou trois parents qui d’Auvergne étaient venus se réfugier près d’eux. Le 27 prairial an II, le fils du citoyen Sampigny, Henry-Louis alors âgé d’une vingtaine d’années fut même désigné « vu son patriotisme et son zèle pour le bien de la République » à participer sur le territoire de la commune à des recherches de terre salpêtrière.
Aussi les Sampigny ne songèrent-ils pas à émigrer : ils évitèrent à la Rivière la catastrophe d’être vendue « au son de la caisse » comme bien national. Les évènements n’améliorèrent pas pour cela leur situation de fortune. Ils durent se décider, peut-être aussi en raison des goûts nomades du fils engagé dans la marine, à se débarrasser de la Rivière ; ils la cédèrent le 14 Nivôse an III (3 janvier 1795) au citoyen Pierre Tassin, demeurant à Orléans, rue de la Vieille Poterie et dont la famille avait d’anciennes attaches dans la région.
Le prix de vente était de 312 400 livres.
La propriété composée des domaines du Pont Gané, du Mordereau, des Chaumottes, de la Chalousie et de la Menaudière, ne comprenait alors avec les bois guère plus de trois cent cinquante hectares : elle fut accrue par M. Pierre Tassin de la Haute Tétière et de la Ronce. Le 20 octobre 1814 le tout, soit environ cinq cents hectares fut vendu à M. et Mme Blanchard, notables négociants d’Orléans : ils en confièrent en 1822 l’administration à leur gendre M. Thiercelin, maire de Bellegarde, Conseiller Général du Loiret.
La Rivière, augmentée du groupe de fermes de la Folie et de Montlevrault, devint en 1844 à la mort de Madame Blanchard la propriété de son petit-fils, Anatole Thiercelin.
Le château, inhabité depuis près d’un demi-siècle, avait besoin d’une sérieuse remise en état. Ce fut M. Henri Dequoy, dont la fille Laure venait d’épouser Anatole Thiercelin qui en fit en 1860 les frais.
A la faveur de ces travaux, les communs (bûcher, fournil, vacherie, serre et orangerie, forge) qui formaient dans la cour même du château un important corps de bâtiment à trois côtés, rejoignirent en dehors des fossés les remises « à voitures et à harnais » et la tour du colombier, transformée maintenant en bibliothèque…
Ces améliorations devaient être complétées vingt ans plus tard par l’aménagement de l’étage supérieur du donjon et l’installation de l’escalier actuel. M. Anatole Thiercelin ne profita pas longtemps de la libéralité de son beau père : il avait pourtant eu le temps de prendre intérêt à la propriété et au pays, avait été nommé maire de Châtenoy, et en a fait reconstruire l’église, lorsque le 25 juillet 1869 il mourut, laissant pour seule héritière sa fille Louise, alors âgée d’une dizaine d’années.
La région connut à nouveau, à plus de quatre siècles de distance, les hontes de l’invasion. La guerre de 1870-71 fut trop rapide pour que la « furor Teutonica » s’y révélât dans toute son ampleur. Néanmoins, il y eut des impositions, des réquisitions, des avanies, des exigences de toutes sortes et dans le voisinage immédiat de sanglants combats livrés à l’ennemi par l’extrême aile droite de l’armée de la Loire.
Au cours d’un de ces combats, livré le 28 novembre 1870 à Beaune la Rolande – Juranville, à une quinzaine de kilomètres de la Rivière, un jeune capitaine d’Artillerie du nom de Brugère, appelé par la suite à devenir généralissime, se distingua par un fait d’armes. A la tête d’un escadron de lanciers et d’une compagnie de mobiles, il délogea une batterie d’artillerie prussienne en position de tir et s’empara d’une de ses pièces : ce canon fut le seul trophée français de toute la guerre de 1870 ; il figure à ce titre au Musée de l’armée.
Cinq ans après, le jeune et brillant capitaine Brugère, devenu Commandant, épousait Mademoiselle Louise Thiercelin.
Depuis lors, La Rivière n’a pas d’histoire… Tout y est présent.
La Rivière, octobre 1933
R.B.
Intérieur du château de la Rivière, en 1676.
Bulletin municipal n° 12 (1989)
Châtenoy, alors, dispose des services d’un notaire, Renault, et une partie des actes que ce dernier a rédigés est déposée au service des Archives Départementales (Archives des notaires 3 E 20658). « Messire Louis de Louviers chevalier seigneur de la Rivière » est décédé le 1er janvier 1676 et, le 16 février, à la requête de sa veuve « dame Geneviefve de Gaumont » qui veut protéger ses droits et ceux de sa fille, on procède à un inventaire très détaillé de ce que contiennent le château et les lieux qui en dépendent. Etaient également présents François Collier, avocat à Lorris, François Narjou, notaire à Vieilles-Maisons, trois employés du château (Elizabeth Sénicourt, demoiselle de compagnie, la cuisinière et Gabriel Deuxoeuvres, valet), Louis Despaht, huissier priseur à Lorris, qui pour l’estimation du matériel agricole et des animaux a pris l’avis de Gabriel Morin et Jean Durand, laboureurs à Châtenoy.
Le résultat de cet inventaire, que voici, résumé, constitue un merveilleux témoignage sur une époque (Louis XIV est roi) dont plus de trois siècles nous séparent : objets de la vie quotidienne, mobilier, animaux, récoltes, travail, loisirs, prix, langage, ce que l’on produit, ce que l’on achète, les privilèges du château et ses difficultés… (La graphie a été conservée).
Dans la cave
Deux poinçons de vin clairet du cru du pays estimés à la somme de 20 livres.
Cinq futailles en vidange, deux tonnes à poisson (7 livres).
Dans la laicterie
Une baratte à battre le boeure garnye de fer monté sur un pied de bois de chesne de charpenterie (4 livres).
Une pottée de boeure salé trente livres (6 livres).
Une méchante saloire, cinq hays (planches) de bois de chesne, six éclipses (éclisses : bois de fente servant à faire des seaux…), deux douzaines de taillouers ( ?) (40 sols).
Dans l’escurie
Un cheval sous poil bay avec sa selle de velours vert garnye de ses sangles et estrivières, de sa bride et licol (60 livres).
Un autre cheval bidet sous poil gris avec sa selle. (40 livres).
Un bas (bât) garny de ses sangles (30 sols).
Deux harnais de chevaux de carrosses et deux brides a demy usées (20 livres).
Une couchette avec matellas un traversin une couverture et un coffre garny de sa serrure (100 sols).
Une pelle de bois deux piosches une coignée… un goy (30 sols).
Sous la remise
Un vieil carrosse a tenir six personnes doublé de velours rouge cramoisy et les rideaux de serge rouge aux deux carreaux et velours aussy cramoisy et deux housses de serge rouge et deux goussets (poches) couverts en pareille serge le tout presque usé (100 livres).
Dans la boulangerie
Un moulin à blutter (tamiser pour la séparer du son) farinne, de bois de sapin et une mete (maie) a paitrir, une pelle de bois, une fourche de fer et un roible (râble ou rouable) (12 livres).
Un bois de lit garny de sa fouseure (fond du lit) un lit de plumes traversin, un autre de bois de lit… une table de bois, une broche et une égaujoire ( ?) (6 livres).
En la cuisine
Deux landiers de fer, trois crimillieres, une pelle, deux broches et trois rechaux, un croc de fer servant a pendre la viande, une pere de tenailles le tout de fer (6 livres).
Un tourne broche avec sa corde, deux lèchefrittes, deux grils, trois chaudierres, deux poasles, un petit poaslon, un tripier, quatre marmittes et une cuiller de pot le tout de fer (12 livres). Une marmitte, une petite escumoire et une poasle a confitures le tout de cuivre rouge et un poissonnier aussy en cuivre rouge (15 livres).
Un chaudron, deux poaslons, une passoire, une escumoire, trois tourtieres, trois flambeaux, trois lampes, deux chandelliers et un bassin le tout de cuivre jaune (10 livres).
Une mette, une table de cuisine, deux bancs de bois de chesne et quatre hais de bois de chesne (3 livres).
En pots, plats, escuelles et autre ustancilles d’estain commun, la quantité de cinquante livres à raison de dix sols la livre (25 livres).
Aultres ustancilles d’estain formant la quantité de cent trente et une livres a raison de treize sols la livre (85 livres 3 sols).
Dans une chambre tout au bout du corps de logis de l’hele droicte en entrant
Un grand bois de lit garny de son enfousure a hault pillier avec sa paillasse picquée, un matellat de laine couvert de thoille de turquie, un traversin de couty (coutil), deux oreillers avec quatre rideaux, deux bonnes graces (?), les pentes en soubassements de tapisserie à l’éguille de point d’ongrie rellevé en soye… avec la courtepointe de taffetas, fond de ciel et dossier aussy de taffetas vert (800 livres).
Un autre lict a hault pillier… une table aux pilliers tournés, un petit coffre de tapisserie a l’esguille de rose avec son pied de bois de noyer fassonné garny d’un tiroir fermant a clef (70 livres).
En un cabinet a coté de ladicte chambre
Un coffre couvert de cuire noir et une grande chaire de bois (3 livres).
Huit couvertures de faulteils de tapisseries… cinq couvertures de chaires de même tapisserie le tout garni de franges et mollets de soye de plusieurs coulleurs et les dossiers de mesme (60 livres).
Six couvertures de chaires avec les dossiers de poinct d’ongrie… (12 livres).
Dix livres de chanvre a raison de trois sols la livre (30 sols).
Six livres d’estouppes a raison de deux sols la livre (12 sols).
Six livres de fil de chanvre prisé dis sols la livre (3 livres).
Quatre livres de fil d’estoupes…
En une autr petite chambre a costé
Deux chenets de fonte, une pelle, une paire de pinsettes, et une autre paire de chenets a pomme de cuivre jaulne (10 livres).
Une couchette a hault pillier… un petit matellat de futainne plain de bourre… une table de bois couverte d’un vieil tapy en tapisserie de Rouen, six tabourets, une grande chaire de mocquette usée, trois chaires de paille, un autre petit lict sur des tresteaux… tapisserie de Rouen faisant le tour de la dicte chambre (40 livres).
Une cassette en velours rouge fermante a clef avec son pied de bois noire, une tablet de mesme bois (40 sols).
Dans une salle proche ladicte chambre
Un coffre de bois, une table aussy de bois de chesne (20 sols).
Dans une garde robbe a coste de ladicte salle
Deux lits a haut pillier… une table de bois, un coffre de bois de noyer, un bahu couvert de cuire, un autre coffre couvert de peau de veau (50 livres).
Un petit coffre… deux platinnes (table à repasser) avec un pied de bois, une poasle de fer, une bassinoire de cuivre rouge, deux ferts a repasser, deux pezons, une paire de balances, une chaise percée (12 livres).
Dans une chambre a coste de ladicte garde robbe qui est celle ou est decédé L. de Louviers
Deux petittes chevrettes d’assier, une pelle et une pinsette de fer, un soufflet (30 sols).
Un lict a haut pillier… un cabinet de bois de noyer façonné doublé dedans d’un satin incarnat, trois chaires de bois de noyer tourné, une table avec son tapit de tapisserie faict a l’eguille a l’antique, deux guerionds de bois de noyer tourné, six tableaux l’un de tapisserie représentant un « ecce homo » (le Christ avec sa couronne d’épines) garny de sa bordure de bois doré, un autre ou est une croix d’émail sur étoffe aussi garny de son bois doré et quatre autres faicts ou crayon, un rideau de thoille de cotton avec sa tringue et une tenture de tapisserie de rouen faisant le tour de la chambre (120 livres).
Dans la despence a coste de ladicte chambre
Une table de bois de chesne, six hays de bois de chesne, une petite cassette de bois blanc avec son pied de bois de chesne, un panier d’osier fin un gaufrier de fer, un petit rechaulx de cuivre rouge, un rôtissoir de fer une grande salierre a mettre un minot de sel, aussi de bois de chesne (8 livres).
Vingt cinq livres de suif a raison de sept sols la livre (8 livres 5 sols).
Dix sept livres de sucre blanc a raison de dix sols six deniers la livre (8 livres 18 sols 6 deniers).
Dans une salle aussy a coste de ladicte chambre
Une paire de chenets de fonte (3 livres).
Six chaises six fauxteils… un lict de salle housé de sangles avec un matelat de crain doublé de thoille rouge… avec le traversin plain de plume couverte de méchante tapisserie (45 livres).
Une table de bois de chesne aussy couverte d’un tapict de mocquette, une autre table aussi de bois de chesne aussy couverte d’un tapis de Turquie (6 livres).
Un grand miroir de glace de Venise de deux pieds de hault ou environ sur un pied quatre pouces de large garny de son casdre de bois de poirier fassonné avec son cordon de soye de fleurs (16 livres).
Deux tableaux l’un peint sur thoille representant notre seigneur parlant aux juifs, l’autre en broderie de soye representant notre seigneur en croix… (34 livres).
Cinq autre tableaux (la Vierge, un portrait, des bergères) (8 l ivres).
Une tenture de tapisserie de Rouen faisant le tour de ladicte salle de deux aulnes et demy de hault faisant environ dix sept aulnes pour le tour, deux tables de bois de sapin pliantes (6 livres).
Deux paires de pistollets d’arson avec deux paires de foureaux de cuire, deux fuzils, trois mousquetons et trois autres paires de meschants pistollets et un méchant cor de cuivre jaulne pour la chasse avec un ratellier de bois sur quoy sont posés lesdictes armes (25 livres).
Un baudrier de cuire avec une grosse frange et molet en soye noire, une espée dont la garniture est de léton (100 sols).
Dans un cabinet a cote de la dicte salle
Une table… une chaire… un petit coffre… une paire de tablettes a mettre des livres une écritoire de cuire bouilly (6 livres).
Quatre montres sçavoir deux a bouettes d’argent et les deux autres a bouettes de cuivre (50 livres).
Une bouette de bois ou est trouvé un couteau une fourchette son étuit plusieurs méchantes ferrailles (20 sols).
L’histoire de France a quatre thomes in folio couverte d’un veau fauve (9 livres).
Trois autres livres in folio dont l’un est une vie des saincts ancienne, l’autre l’inventaire de (… ?) mal couvert, le troisième un recueil de plusieurs pièces servant à l’histoire composé par le sieur de St Germain (5 livres).
Un pacquet de livres de quatre thomes couvert de veau (100 sols).
Cinq thomes in seize (3 livres) Huit thomes in quarto couvert de parchemin (4 livres) Douze thomes in douzo (6 livres) Huit thomes (4 livres 10 sols).
Dix thomes (3 livres) Six thomes (100 sols).
Une gipsierre de peau de serf, un estuit a razoirs dans lequel est trouvé trois razoirs, une paire de cizeaux et deux linges servant a faire le poil, une bource de cuire dans laquelle se trouve soixante gettons de cuivre, un barril a mettre de la poudre, un echiqet de bois et une bouette ou est trouvé le jeu des chats ( ?) aussi de bois (3 livres).
Dans la chambre du pavillon
Une couche a hault pillier… mattelat de boure lanisse… une autre couche… (90 livres).
Deux méchants chenets de fonte une table… quatorze chaires de bois de Estre couverte de petite étoffe de la porte de Paris a demy usé, trois chaires de mocquette usés, une tenture de tapisserie a façon de Rouen d’environ neuf aulnes, un miroir glace et sa bordure d’émail noircy (30 livres).
Dans le grenier
Trente mines d’orge a raison de trente sols la mine mezeure de Lorris (45 livres).
Vingt cinq mines d’avoyne… (22 livres 10 sols).
Trente quatre mines de bled noir (35 livres 12 sols).
Cinquante livres de chanvre tant broyé qu’à broyer (6 livres 5 sols).
Douze livres de lin non apresté (3 livres).
Un lict de plume… (40 sols) Cinq colliers, deux selles, deux brides le tout servant a charoyer (12 livres).
Deux valises de cuire… une autre grande valise (100 sols).
Trois salloires a saller le porc, un quart de vinaigre a moitié plein une mine de chenevix a raison de 20 sols, un berceau de bois d’aulne et de mechantes ferailles, une poulie garnye de la corde (10 livres).
Ensuit les habits a usage d’homme
Une culotte et un justaucorps de droguet brun, un autre justaucorps et culotte de droguet blanc doublé, deux méchants pourpoints… deux vestes… (18 livres).
Un justaucorps de velours noir garny de bouttons noirs doublé de tabit (tabis : étoffe de soie moirée), deux vestes de taffetas rayé presque usées (100 sols).
Un justaucorps de grosse serge… couleur d’ollive avec une culotte de drap de pareille coulleur (10 livres).
Quatre paires de bas de laine, une paire de bas de soye, une robbe de chambre garnye d’houette presque usé (6 livres).
Trois méchantes perruques de Campaigne, un grand manteau… une culotte de thoile, un bonnet a l’anglaise couvert de thoille cirée, un chappeau de thoille cirée et une paire de guestres (15 livres).
Un chapeau de Cottebec ( ?) et une perrucque de campaigne (12 livres).
Ensuit les habits a l’usage de dame
Un manteau de thoille… une robe de chambre d’houette (8 livres).
Une juppe de brocquart, une autre a petittes fleures, un habit bleu, un justaucorps de thoille garny de gros poincts (30 livres).
Ensuit le linge
Dix draps neufs de thoille de chanvre (70 livres).
Deux couvertures de futaine à grain d’orge (8 livres).
Neuf draps de thoille de chanvre de deux lays les uns presque neufs les autres demi usés (30 livres) Quatre autres draps… (100 sols).
Douze draps… (12 livres) Deux douzaines de serviettes de lin avec une nape (30 livres) Sept douzaines de serviettes de thoille de chanvre prisées ensemble presque a demy usées (42 livres) Douze napes… (9 livres).
Deux naples de thoille ouvrée et une grande de chanvre (4 livres).
Deux douzaines de chaussoirs ( ?) (40 sols).
Un pacquet composé de tayes d’oreillé tabliers mouchoirs de poches, coueffes, cornettes, mouchoirs de dessous, bouts de manches… chaussettes et autres menus linges (20 livres).
Deux thoilettes de thoille d’Hollande… (100 sols). Quatre autres thoilettes en thoille commune (4 livres) Six chemises (12 livres)
Quatre autres chemises de thoille d’Hollande usagées d’homme (12 livres).
Quatre cannessons de thoille de chanvre (3 livres 10 sols).
Quatre chemises de thoille d’Hollande usagées de femme et sept autres chemises audict usage de thoille commune (20 livres).
Ensuit l’argenterie
Un bassin rond, deux aiguières dont une couverte, quatre flambeaux de table, un chandellier d’estude, une escuelle a orreille, trois tasses rondes, une petitte salliere, un sucrier, un vinaigrier, un moutardier, un cocquetier, un bassin a cracher, une cuiller couverte, un petit pot a ensen, un benoistier, cinq petittes cuillers, six petittes fourchettes, douze grosses cuillers et une douzaine de grosses fourchettes, un hauchet avec sa chesne, une bouette de mousche, une paire de manchettes, deux cordons le tout d’argent poinçon de Paris pesant ensemble cinquante marcs (1 346 livres 12 sols) Une douzaine de couteaux a manche d’argent avec leurs lames (80 livres) Une bource de vellours rouge dans laquelle est trouvé cent un getons d’argent pesants trois marcs deux onces (87 livres 15 sols).
Un fillet de perle, deux bracelets de perles garnys de bijoux d’or, deux bagues l’une d’or l’autre d’argent ou sont enchassés en chacune deux gros diamants tout autour que nous n’avons prisé pour n’en scavoir la juste valleur…
En la basse cour dud. Château
Dans la grange… gerbes de bled seigle (23 livres). Un mothe de foin… six milliers ou environ de bottes… (72 livres).
Dans le cellier
Deux cuves tenant une huict poinçons et l’autre quatre (8 livres).
Six futailles vides, une jasle (espèce de grande jatte ou baquet) et un entonnoir (3 livres).
Dans une petitte etable a coste
Deux thorreaux sous poils noir et roue (36 livres).
Deux veaux venant a deux ans (10 livres)
Dans une autre etable
Huit mères vaches sous divers poils (120 livres).
Deux bouricques (10 livres)
Dans une escurie
Un grand poulin qui vient a trois ans, un autre petit de l’année (36 livres).
Une pouline venante a deux ans.
Dans un toit a porcs
Deux petits cochons (8 livres)
Sous le logereau
Une charrette de roullage garnye de roues ferrées et de son aisseau (essieu) de fer et une autre petitte charrette (46 livres).
Un tombereau monté sur une paire de roues futangées avec un aisseau de fer, une grande charrette a foin non montée (15 livres).
On trouve ensuite l’inventaire des quatre métairies dépendant de la terre de la Rivière : la Challurie (Jalousie) ou demeure Nicolas Fernault, les Chaumottes (René Coutellier), Le Chastellet (Noël Grégoire), Le Mordereau (Denis Piot). Au Mordereau par exemple, on trouve huit bœufs (195 livres), trois mères vaches au poil rouge (60 livres), deux taures, un petit taureau (29 livres), quarante-huit brebis mères (120 livres). Au Moulin de Gabois sont enregistrés : deux juments, deux colliers, une selle, deux brides, une charrette garnie de roues non ferrées, un essieu de fer. Dans la Tuilerie, « est trouvé dans le fourneau d’ycelle environ dix milliers tant thuille carreau que bricque cuit que ladicte dame Louviers a dict avoir esté faicts pour les reparations a faire tant a ladicte maison seigneuriale que lieux en deppendants ».
L’inventaire du château se termine par une très longue énumération de dizaines de papiers, pièces et actes notariés comme, au hasard, les baux des métairies, l’adjudication du moulin de Gabois du 15 juin 1595, une dispense obtenue du pape pour un mariage en 1628, l’acte par lequel le sieur de Louviers est déclaré noble le 27 juillet 1664, le bail d’une maison louée à Pierre Popardin le 1er Janvier 1667, des obligations, des quittances, un « bail a moitié de quatre paniers de mouches à miel », « le journal dudict deffunct sieur de Louviers relié en parchemin » et une foule d’autres documents dont la liste risquerait devenir fastidieuse !
Quelques précisions :
La livre était une unité de poids qui variait selon les provinces de 380 à 550 grammes (489 grammes à Paris) et qui se divisait en 2 marcs (métaux précieux) et 16 onces.
C’était aussi une unité de prix qui correspondait à 20 sols ou 15 deniers.
L’aune correspond à environ 1,20 mètre. La mine est la moitié d’un setier et le minot la moitié d’une mine.
Remue-ménage au château
Bulletin municipal n° 27 (1997)
Nous sommes au début de l’an mil six cent soixante-dix-sept, le 19 janvier plus précisément. Il y a un peu plus de trois siècles, environ treize générations. Si l’on considère un authentique indigène de Châtenoy, Louis XIV y règne sur son arrière arrière arrière arrière arrière arrière arrière arrière arrière-grand-père. Le canal d’Orléans ne sera terminé que 15 années plus tard.
En fin de matinée, dame Geneviève de Gaumont arrive au bourg de Vieilles-Maisons, de fort méchante humeur, elle est veuve de messire Louis de Louviers, de son vivant chevalier seigneur de la mairie de Châtenoy – et de Beauchamps en partie. Elle réside habituellement à Paris, dans l’île Notre-Dame, paroisse de Saint-Louis, mais elle séjourne parfois dans son château de la Rivière. C’est le cas en ce mois de janvier 1677. Ce qui l’amène à Vieilles-Maisons, chez François Narjou, notaire ordinaire en la châtellenie de Saint-Benoît sur Loire ? Eh bien, elle veut porter plainte. Et elle explique à François Narjou que la veille, le 18 janvier, à une heure de l’après-midi, six hommes – elle dit des « quidams » - armés de fusils, d’épées et de cognées, sont entrés par la force dans son château. Le notaire, plume à la main, hésite un moment en écrivant le procès-verbal des événements ainsi racontés. Peut-il totalement faire confiance à dame Geneviève ? Il écrit finalement un conditionnel : « seraient entrés de violence »… Les six quidams en question, continue la plaignante, ont menacé de casser les portes et de tuer ceux qu’elle avait appelés pour être témoins de la scène – des serviteurs peut-on penser. L’un des assaillants, voyant que ladite dame était seule en sa maison (Elle est veuve, aucun gentilhomme n’est présent), aurait (François Narjou reste prudent) fait plusieurs incartades, se serait adressé directement à elle pour exprimer ce qu’il avait sur le cœur et justifier cette invasion violente et injustifiable du domaine. Selon ce menteur, on lui avait dérobé une chaise, une chaise à porteurs, en forme de créneau, il l’avait repérée dans la cour du château. C’était Madame de Gaumont qui la lui avait volée, osait-il affirmer, et il venait donc, en force car il ne s’attendait pas à être bien reçu, la récupérer… Et ils étaient tous repartis avec la chaise. Madame de Gaumont soutient que cet homme n’a pas dit la vérité. En réalité cette chaise litigieuse, elle l’a eue de dame de Fromentière, veuve de sieur Caron du Fort. Et d’ailleurs, elle montre une lettre de madame de Fromontière, que le notaire paraphe, et qui est censée prouver la propriété de la chaise. François Narjou termine son procès-verbal « … et pour quoy j’ai lui ai octroyé acte pourluy servir en temps et lieu que de raison. » Il signe, Madame de Gaumont également.
Cette dernière s’est fait accompagner de trois témoins. Deux déclarent ne pas savoir signer. Il s’agit de Pierre Paupardin, et de Louis Durand, manœuvre demeurant en la paroisse de Châtenoy. Le troisième est Philippe Duchêne, écuyer, seigneur de Vieilles-Maisons et de la Folie (aujourd’hui, à gauche, en arrivant au Gué des Cens), demeurant lui aussi en la ville de Paris. Il appose une troisième signature.
C’est tout ce que nous saurons de cette tranche de vie locale.