Bulletin municipal n° 39 et 40 – 2003 et 2004
La forêt est un endroit privilégié pour la cueillette des champignons, un lieu de calme et de détente pour les promeneurs et les stressés de la vie moderne, un lieu de plaisir violent pour la chasse à courre, la chasse à tir et le braconnage, un endroit idéal pour des rencontres discrètes, le cadre de l’écoute du brame du cerf au début de l’automne, un abri pour toute la faune. Elle a servi de refuge aux insoumis ou aux persécutés lors des périodes troubles de l’histoire.
Notre belle forêt d’Orléans au passé et au présent pleins d’enseignements est la plus vaste forêt domaniale de France. Elle est une source d’air pur et une richesse pour notre région.
On ne peut imaginer à quel point elle fut vitale pour la population de Châtenoy depuis les temps les plus reculés de l’histoire du village. Le besoin de bois à brûler et de construction, de litière, de bruyère, de champignons, de fruits sauvages, de gibier, de sauvageons pour les greffes, même s’il fut important, ne constitue pas l’essentiel des préoccupations qui ont marqué nos archives. Ce qui a une importance capitale dans les textes, c’est la nourriture que la forêt pouvait fournir aux animaux qu’on y emmenait paître. Pour beaucoup, dépourvus de terres, c’était le seul moyen de pratiquer l’élevage, essentiel pour la survie des familles. Entre les agents des Eaux et Forêts d’une part, appliquant les directives royales, soucieux de protéger les jeunes plants, et les éleveurs d’autre part, c’était des empoignades perpétuelles. Il a fallu que les souverains interviennent, et souvent, pour confirmer par lettres patentes (royales, ouvertes, accordant une faveur) les droits des manants de Châtenoy-aux-Bois et des paroisses de la forêt d’Orléans afin d’atténuer les inquiétudes et les mécontentements nés de leurs propres décisions.
En 1318, une administration des forêts de la Couronne, les Maîtrises, est créée et des tribunaux forestiers, les Tables de marbre, sont institués par Philippe V. En 1346, sous Philippe VI, l’ordonnance de Brunoy organise l’administration des forêts, des eaux et de la pêche.
Le plus ancien document évoqué dans nos archives est « une sentence du grand maître des eaux et forêts d’Orléans du 13 juillet 1479 qui dit et qui déclare avoir vu les lettres patentes de Philippe, fils du roi de France, données à Orléans le 6 janvier 1361 et celles du 30 juin 1362 qui ordonnaient que les habitants des paroisses de Bouzy, Beauchamps, Châtenoy, Coudroy, Vieilles-Maisons et Saint Martin d’Abbat jouiront de pâturages pour leurs bestiaux dans la forêt d’Orléans dans la garde du Milieu en la manière qu’ils ont coutume d’en jouir sans les en empêcher ou les molester ».
On trouve ensuite l’évocation d’autres lettres patentes :
A ces causes désirant conserver et maintenir lesdits habitants en la possession et jouissance desdits droits… continuons et confirmons par ces présentes signées de notre main tout et chacun lesdits privilèges franchises et libertés immunités et exemptions contenus en leurs dites lettres et particulièrement en celles de notre dit feu aïeul du mois de novembre 1596 ».
Mais à partir de deux ans plus tard (entre 1661 et 1680), le même souverain va déclencher un processus de réforme de l’administration de la forêt (« Grande Réformation des forêts royales ») qui va avoir des conséquences sur le terrain (interdiction des constructions en plein bois, liste des vagabonds interdits d’accès aux massifs forestiers, défrichement de bandes de 18 mètres de long des routes pour gêner les embuscades des bandits, interdiction d’exploiter les tailles de moins de 10 ans d’âge, dans chaque coupe, réservation de 16 baliveaux par arpent, chasse totalement interdite sous peine de très lourdes amendes et sanctions, limitation du droit de pâturage… ). Nous disposons d’une relation précise, celle de la visite sur le terrain, en 1675, de Jean-Jacques Charron, chevalier, vicomte de Ménard, Baron de Conflans, seigneur de Neuville, conseiller du roi, pour apaiser des tensions grandissantes nées de toutes ces restrictions.
Les paroisses payent une taille (impôt direct payé par les roturiers des campagnes) considérable. Si les usages en forêt sont modifiés dans le sens d’une restriction, les habitants ne pourront plus payer leurs impôts. Le sieur Charron doit se transporter dans les 48 paroisses de la forêt d’Orléans concernées, assigner à chacune à proportion de la taille qu’elles versent, du nombre de leurs « bêtes à laine » une certaine surface de terre vague (ou vaine, dans une zone frontière avec la forêt royale). A l’égard des chevaux et « bêtes aumailles » (c’est-à-dire le gros bétail), il doit déterminer l’âge auquel les bois doivent être déclarés défensables (c’est-à-dire capables de résister sans dommages à l’intrusion des animaux). Il doit informer le roi des abus qui se sont commis jusqu’à présent au sujet des amendes et vexations et du remède qu’on peut apporter. Exemple : des bêtes sont saisies par les agents dans des bois qui ont 10 et 12 ans quoiqu’ils soient estimés défensables à 5 ans.
Après sa visite des paroisses, il conclut son rapport : « Nous estimons aussi que lorsqu’il y aura de jeunes ventes proches de leurs maisons et qu’il sera nécessaire d’y passer pour aller dans les bois défensables, les officiers de la forêt doivent être tenus de leur marquer des chemins de largeur convenable par où les bestiaux puissent librement passer. Et à l’égard des bêtes blanches que sa Majesté leur peut donner tous les lieux marqués par notre présent procès-verbal, pour en jouir à toujours en commun usage sans payer aucun cens ni redevance desquels sa majesté aura s’il lui plaît la bonté de les décharger et de les exempter des droits d’amortissement et nouveaux acquêts qu’ils devraient parce que sans cela cette grâce leur serait plus onéreuse que profitable et qu’ils seront par ce moyen plus en état de satisfaire aux charges de leur taille, à condition qu’ils feront un fossé de 5 pieds d’ouverture et de 4 de profondeur pour séparer leurs usages de la forêt leur séparation de bornes incommutables empêcher que les bestiaux n’endommagent le bois voisin et les délivrer de l’oppression et de la vexation qui leur a été faite jusqu’à présent par les sergents et gardes lesquels n’auront plus aucun prétexte de les troubler quand leurs bêtes à laine ne pacageront pas au-delà du fossé et ne se trouveront point hors des chemins destinés pour les conduire à leurs usages lesquels chemins quoiqu’ils ne soient pas particulièrement exprimés par le présent procès-verbal nous croyons leur devoir accorder quand même il y aurait des chênes épars. S’il y a nécessité d’y passer pour aller de leur maison à la pâture commune…
Fait et donné par nous à Orléans ce douzième septembre 1675. Signé Charon de Ménard ».
Dans la pratique, l’ordonnance royale se révèlera assez rapidement inapplicable, trop de gens ne la respectant pas car la forêt est leur source de vie.
Le cahier de doléances de Châtenoy (24 février 1789) mentionne évidemment les questions forestières que les Castanéens voudraient voir réglées en leur faveur. Quatre articles y sont consacrés.
Article 9 : Qu’il soit permis aux habitants… de faire paître et pacager leurs bestiaux dans la forêt d’Orléans et dans les terrains vains et vagues qui en dépendent et qui ont toujours été laissés pour les pacages des différents bestiaux de leur paroisse ; qu’il leur soit permis de mener et faire paître et pacager, savoir : leurs chevaux dans les ventes du deuxième bourgeon et les vaches dans les ventes des sept et huitième bourgeons.
Article 10 : Qu’il soit permis aux habitants…, propriétaires de bois et arbres épars qui se trouvent sur et autour des héritages qui leur appartiennent et avoisinent la forêt d’Orléans, de les couper ou de les faire abattre, permission qu’ils n’ont jamais pu obtenir dans certains canton de leur paroisse, et que dans les autres, ils n’ont pu obtenir qu’avec beaucoup de peine et à grands frais pour les droits d’obtention de cette permission à la maîtrise des eaux et forêts et d’enregistrement au siège des gardes particuliers ; ce qui les met hors d’état de faire les réparations de leurs bâtiments qui souvent se trouvent dans le cas de tomber en ruine.
Article 11 : Qu’il leur soit accordé la permission de prendre des bois secs et morts dans la forêt d’Orléans pour leur chauffage.
Article 13 : Qu’il leur soit aussi permis aux habitants… de conduire leurs porcs en ladite forêt d’Orléans.
La Révolution qui a suivi de près la rédaction des cahiers de doléances a rendu la forêt à la population, jusqu’à l’absurde si on en croit l’historien Jules Michelet qui dit de manière polémique : « Les arbres furent sacrifiés au moindre usage, on abattait deux pins pour faire une paire de sabots ».
Les révolutions passent, les monarchies reviennent : Le registre des délibérations de Châtenoy,
à la date du 30 juillet 1828, (les droits de la Commune étant à nouveau contestés par les agents forestiers) fait le rappel de toutes les lettres patentes accordées par les rois, en affirmant que les originaux des titres sont déposés à la préfecture.
Le 17 mai 1846, un courrier intéressant : « Le Conseil rappelle à votre souvenir, monsieur le Préfet, plusieurs lettres que monsieur le Maire vous a écrites…, par lesquelles il vous priait d’avoir la bonté de faire coopérer l’administration forestière des bois de l’Etat aux réparations des chemins vicinaux de la Commune, proportionnellement aux dégradations occasionnées par le débardement du bois qui est fait par chaque chemin, toutes ces réclamations sont restées sans effets et même la plupart sans réponse… »
En 1855, l’Etat a pour projet de vendre des terres riveraines de la forêt, inintéressantes car la Commune y exerce un droit de pacage permanent, les terres vagues ou terres vaines. En septembre, le Conseil Municipal estime qu’à cause de la cession de ce droit, il doit revenir à la Commune la moitié de la valeur de la vente. En novembre et décembre 1855, la vente a effectivement lieu (Plus d’une dizaine d’acquéreurs, dont 6 conseillers !). Après des protestations car la caisse communale a été oubliée, un accord est trouvé, pour chaque 100 F donnés à l’Etat, Châtenoy recevra des acquéreurs 34 F de dédommagement. Au 1er avril 1856, la somme recueillie, bien qu’il reste quelques récalcitrants, s’élèvent à 4 974,20 F qui devront servir à la construction de la maison d’école.
Après les archives lointaines, laissons maintenant place à la mémoire des Castanéens d’aujourd’hui et aux archives récentes.
Le droit de pacage, droit de pâturage ou droit de parcours en forêt était indispensable dans notre région. Lors des périodes estivales souvent sèches, l’herbe ombrée par les arbres de la forêt, développée tardivement, résiste mieux qu’en prairie aux rigueurs de l’été. Le droit de pacage autorisé également sur certains bas-côtés des routes forestières était encore accordé aux anciennes fermes dans les années 40 et 50. Il pouvait être accordé ou refusé aux nouvelles qui en faisaient la demande. Vers la fin de l’année, la mairie dressait la liste des ayants-droits pour l’année suivante, qu’elle remettait au garde forestier. Chaque cultivateur disposait d’un secteur déterminé dans la surface totale autorisée. Par exemple, en 1933, 37 cultivateurs de Châtenoy, pour 9 chevaux et 208 bêtes à cornes, disposaient de 505 hectares 26 ares. En 1944, 25 cultivateurs pour 14 chevaux et 175 bêtes à cornes disposaient d’une certaine surface non précisée, mais 188 hectares leur étaient défensables (parcelles où les jeunes plants étaient susceptibles d’être endommagés par les bestiaux). Le droit au ramassage du bois mort existait toujours il y a quelques décennies, notamment au bûcheron (taillis mort en bois de chauffage) à l’endroit où il travaillait.
On pouvait aussi obtenir par demande un permis de sapins morts (permis de sapins secs) dont l’on disposait à son gré pour en faire du bois d’œuvre à usage personnel et du bois de chauffage, mais interdit à la vente. Après la guerre, il en était délivré en priorité aux ouvriers forestiers. Il était possible de ramasser à l’automne de la fougère pour abriter les légumes du jardin et mettre en silo pour l’hiver pommes de terre et racines fourragères. On ramassait de février à mai la fougère, la mousse et l’augère pour faire la litière aux bestiaux lorsque la récolte de paille apparaissait insuffisante pour la soudure avec la récolte suivante.
Des cultivateurs de la région ayant drainé leurs terres de culture ont récolté en forêt de la bruyère qu’ils étalaient sur leurs drains. Ce procédé évite le colmatage de la terre sur ces derniers et améliore l’efficacité du drainage pendant plusieurs dizaines d’années.
Il était délivré des permis d’extraction de sable, de terre de bruyère, de perches (jeunes pins en dégarnissage), de fins branchages de bouleau destinés à la fabrication de balais, d’emplacement de rucher. Presque toutes ces autorisations devaient faire l’objet de l’acquittement d’une redevance ou d’une prestation en nature (souvent l’entretien des routes forestières).
Vers 1970-1980, des cultivateurs fauchaient les bas-côtés des routes forestières pour améliorer leur stock de foin. Notamment en 1976, année de grande sécheresse où beaucoup de bas-côtés de routes forestières ont été fauchés de cette façon. Les droits de pacage et de ramassage de litière sont devenus caducs dans les années 50 et 60. Autrefois, la jeune main-d’œuvre familiale, économique, était disponible pour la garde des bestiaux en forêt, aider au ramassage de litière et autres travaux dans la ferme des parents ou parfois ailleurs. Ensuite, le prolongement de la scolarité et l’orientation des jeunes vers d’autres activités ont contribué à faire abandonner ces usages. La notion de rentabilité inculquée et mise en pratique en agriculture, la disparation progressive des petites exploitations, l’importante évolution de la profession, sa mécanisation et l’amélioration de sa productivité y ont contribué également pour une large part. Depuis quelques années, il n’est plus délivré de permis de sapins morts. D’autres usages vont également disparaître. Officiellement, ce sera donc presque un millénaire de droits qui auront disparu, probablement beaucoup plus en ce qui concerne les usages.
Si autrefois le taillis était compris dans la vente des coupes de bois sur pied aux exploitants forestiers, aujourd’hui, il est cédé en priorité aux ouvriers forestiers anciens et actuels, et aux particuliers qui en font la demande, dans la limite des disponibilités, à un prix raisonnable, pour leur besoin personnel après débitage et stérage.
Vers 1945 et jusque vers 1995, de Châtenoy la forêt occupait en moyenne 3 ou 4 ouvriers occasionnels pour l’entretien des semis et des plantations et 5 à 6 ouvriers permanents pour l’entretien en général. Actuellement, elle occupe deux ouvriers permanents. De nos jours, les plants sont achetés à l’extérieur. Les plantations mécaniques ont été pratiquées dans les années
80. A l’heure actuelle, elles sont toutes manuelles. L’entretien reste assuré par le personnel permanent. Certains travaux exceptionnels (broyage et traitements) sont confiés à des entreprises. On pratique le plus possible la régénération naturelle.
Gabriel Buns est notre agent technique à la Maison forestière de la Fontaine depuis 1982. Claude Baudouin, Alain Croset sont les deux ouvriers permanents en service actuellement. David Belletier, emploi-jeune, est spécialisé dans l’étude des oiseaux de la forêt. Christian Blondeau, ancien ouvrier forestier, a été nommé agent dans l’Est puis muté il y a quelques année à Seichebrières. Quant aux retraités de la forêt, il convient de citer ceux qui y ont consacré presque toute leur activité professionnelle : Roger Jahan et Gilbert Beaudin, ceux qui y ont consacré une grande partie de leur carrière : André et Pierre Dupont, Olivier Charpentier et Jean Meneau.
On ne peut parler de la forêt et du personnel sans parler de Georges Baudin. Il a vécu une partie de son enfance au Ruet à St Martin d’Abbat où son père était garde forestier. Avec son frère Bernard de 3 ans le cadet, ils venaient tous les jours à pied, puis avec un vélo, puis avec deux vélos, à l’école de Châtenoy (6 km). Vivant au cœur de la forêt, ils semblaient prédestinés à la même profession que leur père. En effet, c’est ce qui s’est réalisé. Georges, agent technique dans ses débuts au Ruet, a été muté à la maison forestière de la Fontaine à Châtenoy le 1er novembre 1946, il y est resté jusqu’à sa mise à la retraite le 1er janvier 1974.
Laisser sur place les branchages après broyage, préférable au brûlage qui comporte des risques, est un avantage pour la forêt. Leur décomposition apporte à celle-ci l’humus améliorant son sol. Dans les jeunes plantations, on a parfois recours aux traitements sélectifs contre les mauvaises herbes, notamment fougère et augère.
Les incendies sont un drame pour la forêt et un souci pour les forestiers. Autrefois, l’administration des Eaux et Forêts disposait d’un service et d’un matériel affectés à la lutte contre les incendies. Les bénévoles étaient acceptés pour y participer. Aujourd’hui, ce sont les centres Incendies et Secours qui interviennent, assistés des agents de l’ONF.
Courant 1990, avec le partenariat de la Région Centre, du ministère de l’Agriculture et de la Pêche, de l’ONF, de l’institut d’Ecologie Appliquée, et des Naturalistes Orléanais, il a été procédé au recensement de la flore et de la faune. Il a été dénombré dans la flore des ligneux et herbacés, c’est-à-dire depuis le chêne jusqu’à la plus petite plante 730 espèces, dont mousses : 97. Champignons (non compris dans la flore) : 375. Faune : mammifères : 39, oiseaux : 180, batraciens : 14, reptiles : 8, insectes : plus de 500. Une étude plus approfondie permettrait certainement de recenser bien davantage d’insectes.
Des témoignages : Lorsqu’une vache ressentait les symptômes du vêlage proche, elle s’éclipsait discrètement du troupeau pour se réfugier dans un fourré très touffu. Si on s’apercevait trop tard de sa disparition, il fallait faire des recherches, parfois à plusieurs personnes pendant des heures entières pour ne rien retrouver. Après être passé plusieurs fois vainement à côté, on retrouvait ensuite debout la vache toute fière de nous présenter son petit par un léger beuglement. Elle acceptait alors de suivre allègrement la voiture à cheval qui ramenait au bercail le bébé veau, attaché à une ridelle ou encagé. La mère restait attentive à ses gesticulations vacillantes en beuglant légèrement comme pour lui dire : « Arrête tes galipettes, tu vas te faire mal ! » et semblait satisfaite de cet heureux événement !
François Beaudoin disait qu’il a pu sauver ses quelques vaches en récoltant de la bruyère en forêt pour combler leur manque de nourriture pendant la grande sécheresse de 1893. En août 44, lors de leur retraite sur la N60, les Allemands, pour riposter aux attaques de la Résistance, avaient incendié la forêt à divers endroits par mitraillage. Georges Baudin, alors garde au Ruet, aidé de quelques forestiers, avait réussi à maîtriser des incendies par les moyens du bord, notamment en allumant des contre-feux. Aristide Houdré, dit Tétin, avec l’autorisation du garde forestier arrachait de vieilles souches en forêt pour alimenter sa cheminée. Au cours des années 60, Toto, un brave clochard qui logeait dans l’abri communal récoltait en forêt des branches de bouleau et en fabriquait des balais qu’il vendait. Lors de sa retraite, vers 1980-90, Paul Crasson dit Paulo, au Bourg, faisait de même et en liait à la ronce.
Merci à Roger Jahan, à Gilbert Beaudin, et à Christiane Desnous-Baudin pour leurs souvenirs partagés, ainsi qu’à Gabriel Buns qui m’a permis d’accéder à de nombreux autres renseignements
dont j’ai pu insérer une partie. (R.L.)
Début octobre, les agents procèdent au balivage , au marquage et au martelage des parcelles destinées à être exploitées l’année suivante.
Le martelage permet de contrôler l’abattage. Il arrive qu’au cours de ce dernier, un arbre au lieu de tomber « s’engote » dans les branches d’un autre non marqué. Parfois, le bûcheron pour résoudre l’inconvénient abat le deuxième. Ce qui fait dégoter le premier et tomber les deux en même temps. Solution la plus simple, mais dangereuse, et répréhensible si le deuxième n’est pas martelé à la souche. Gare ! Le garde forestier a l’œil, il ne laisse rien passer, il constate le délit et doit dresser procès verbal ! Ce qui fait la grogne du bûcheron qui prétend à des excuses et des circonstances atténuantes. Rien n’y fait, la procédure va suivre son cours. Finalement, il n’aura qu’à se défaire de quelques deniers et l’affaire sera close.
Ces travaux de préparation des coupes qu’on appelle martelage à raison d’environ deux jours par semaine se terminent en avril. Contrairement à ce qui se fait aujourd’hui, le taillis était vendu sur pied en même temps que les bois de futaie à l’exploitant forestier sur la base d’un volume évalué forfaitairement.
Les travaux des coupes comprennent le débroussaillage, l’abattage et le sciage du taillis et des gros arbres feuillus et résineux marqués. Ces coupes sont renouvelées tous les trente ans, période suffisante pour que le taillis puisse de nouveau refaire du bois de chauffage de qualité. Au cours de ces trente années et après un intervalle de dix années, il est procédé après marquage et martelage à des coupes, seulement d’arbres feuillus et résineux, appelées éclaircies. Soit une coupe et deux éclaircies en trente années.
A Châtenoy avant la guerre, il existait un syndicat de bûcherons. Une grande partie de ses membres étaient des cultivateurs, bûcherons pendant la morte saison. Dès la vente des coupes avec taillis et les coupes dites éclaircies, fixées le deuxième lundi du mois d’octobre suivant le martelage, le ou les représentants du syndicat négociai(en)t avec les exploitants forestiers communément appelés les marchands de bois le travail a façon des coupes achetées par ces derniers dans les environs proches. Proches oui, parce qu’il n’y a que le vélo comme moyen de locomotion pour s’y rendre et par des chemins pas toujours faciles d’accès. S’il y a accord, on partage la coupe en jalonnant les lots (ou ornes) autant qu’il y a d’adhérents au syndicat intéressés par ce travail. L’attribution des ornes, faite par tirage au sort ne donne pas toujours satisfaction, certains se trouvant mal servis. Beaucoup de débroussaillage, de menu bois, de taillis et d’arbres rachitiques dus à des sols médiocres par endroits.
L’outillage, c’est le gojard ou le croissant et le goui (la serpe) pour le débroussaillage, la cognie (cognée) pour l’abattage du taillis et l’entaillage des gros arbres à abattre, l’hachon (la hache) pour l’ébranchage, la scie à bûches équipée d’une marque à 66 cm pour sciage du taillis et de la branche de chêne en bois de chauffage, la grande scie et le passe-partout pour l’abattage et le sciage des gros arbres, la mailloche, les coins, la fiole de pétrole à décrasser les scies, et la bêche à « plusser » (écorcer) les pins. Le passe-partout américain, plus avantageux que celui de chez nous, venu des U.S.A. en 1917 n’était pas en vogue chez tous les bûcherons dans les années cinquante. Tel est l’outillage avant l’arrivée de la tronçonneuse.
Certains exploitants forestiers ont recours à des élagueurs pour ébrancher (ou élaguer) les gros chênes de bonne qualité après le débroussaillage et avant l’abattage. L’élagueur ajuste sa paire de griffes bien aiguisées à ses brodequins en nouant solidement les courroies à ses jambes, puis il se sangle le tronc avec une large ceinture de cuire qu’il doit faire glisser sur l’écorce. Après avoir fixé à sa ceinture la hache et la scie indispensables pour ébrancher, il escalade le tronc en plantant ses griffes dans l’écore. Ce travail est hasardeux, comporte des risques et l’élagueur doit prendre bien des précautions lorsque les branches s’affaissent.
L’élagage a pour but de permettre au bûcheron de mieux maîtriser l’abattage dans les meilleures conditions possibles. Et surtout, il s’agit d’éviter l’éclatement du tronc lors de sa chute. Ce qui déprécierait considérablement la valeur du bois, notamment le chêne.
Avec tout son outillage, le bûcheron doit débroussailler son orne, éliminer au choix par brûlage ou enlèvement des broussailles et menus bois après mise en fagots. Il procède ensuite à l’abattage du taillis à la cognée, l’ébranche à la hache ou à la serpe, le scie à 0,66 de long et le stère. Plus de 8 cm de diamètre en billette (bois de chauffage) et de 5 à 8 cm den charbonnette destinée à la fabrication du charbon de bois ou utilisée aussi en bois de chauffage. Il ne doit pas endommager les baliveaux, futurs bois de futaie d’une trentaine d’années. La billette et la charbonnette sont propriété de l’exploitant forestier.
Le bûcheron a droit au bois mort, au bois inférieur à 5 mm, la partie de la billette et de la charbonnette tordue et la « dépate » (pied du taillis entaillé à la cognée). Ces morceaux de bois ne doivent pas dépasser 33 cm de long. Le bûcheron qui se considère comme mal rémunéré a tendance à allonger les morceaux à 40, 45, parfois 50 cm. Ce qui fait la colère du garde-vente (surveillant au service de l’exploitant) un peu zélé qui n’hésite pas à secouer les tas bien empilés réservés au bûcheron pour vérifier, marquer son passage et sermonner l’intéressé à l’occasion.
Puis c’est l’abattage des gros arbres, pins et chênes. D’abord, on les entaille à la cognée au pied au ras du sol pour faciliter leur chute dans le sens souhaité en évitant autant que possible l’éclatement du tronc. Pour le pin après ébranchage, on l’écorce à la bêche à écorcer du pied à la cime pour éviter son infestation par les insectes.
En ce qui concerne le chêne, c’est plus ouvrageux, il faut sectionner les pattes à la cognée de façon à « arrondir » le pied en lui donnant un diamètre à peu près égal à la partie du tronc légèrement supérieure et une bonne entaille du côté de sa chute prévue. De quoi cracher dans ses mains pour bien tenir le manche… et de quoi attraper chaud même lors des grands froids de l’hiver. Comme pour les pins, il faut bien diriger le sciage au passe-partout. Avoir à sa portée la mailloche et les coins pour permettre la chute de l’arbre dans la bonne direction. Un arbre bien
équilibré peut par un coup de vent inattendu pivoter sur sa souche pour tomber dans une toute autre direction et provoquer un accident de personne. Ce qui nécessite une grande attention. Les arbres abattus, les pins écorcés, le « marqueux » ou quelquefois le garde-vente marque à la rainette les traits de scie à donner aux troncs. Les pins les plus gros sont mis en grumes ou selon leur forme en billons de 2 m et destinés à la scierie pour être débités en bois d’œuvre. Les pins moins gros en bois de mine de 1 m à 4,5 m. Les parties mal formées du pin sont sciées à 57 cm pour être destinées au bois de boulange. Le chêne est mis en grumes, les parties mal faites sont sciées à 1,14 m (appelées déboutes) pour être ensuite fendues, mises en cotrets (petits fagots courts) et destinées à la vente en bois de chauffage. Tout ce bois était la propriété de l’exploitant forestier.
Dans les jeunes pins bien formés, parfois, il est prévu d’en faire des poteaux de téléphone. A un moment donné, on procède à l’abattage, ils sont aussitôt débardés puis transportés par fardier soit à Vitry-aux-Loges, soit à Lorris à un chantier où ils sont écorcés et traités chimiquement pour les protéger de l’humidité et des insectes et leur assurer une certaine longévité.
La belle saison arrivée, le sol assaini, les cultivateurs bûcherons reprennent les travaux des champs, la forêt est vide de monde, mis à part quelques retardataires. Le débardeur accroche la chaîne aux grumes, une à une, et que tire un cheval ou deux, selon leur volume. Elles sont sorties pour être entreposées sur des morceaux de bois au bas-côté du chemin longeant la coupe. Avec un cheval attelé à une charrette, il sort les billons de 2 m, les bois de mine et éventuellement le bois de chauffage, billette et charbonnette, le tout entassé séparément au bord du chemin.
Quelque temps après, le roulier ou le débardeur roulier va charger les grumes sur son fardier pour les transporter vers la scierie. Les fardiers les plus anciens possédaient deux trains à deux grandes roues en bois ferrées appelés trinqueballes que l’on espace en fonction de la longueur à charroyer. On cale les grandes roues et un cheval hisse les grumes en tirant sur les chaînes. Quatre ou cinq grumes sont suspendues sous les essieux. On les arrime solidement et elles peuvent ainsi être transportées.
Plus tard, le roulage s’améliore avec l’apparition des fardiers montés sur pneus. Leur plateau étant plus bas, au lieu de la suspendre sous les essieux, on peut les hausser par dessus. On appuie alors deux madriers contre le fardier et avec les chaînes tirées par un cheval, on hisse les grumes sur le plateau. Avec un cheval et une charrette, le roulier transporte les billons vers la scierie, le bois de mine en général vers les gares, ou quelquefois encore dans les années 30 sur les ports du canal, notamment celui de la Verrerie pour être acheminé ensuite par bateau. Le bois de chauffage reste sur place ou est transporté chez l’exploitant forestier pour être vendu à des particuliers. Au début du 20ème siècle, le port du canal dit de Châtenoy était couvert de bois de chauffage bien empilé, tout prêt à être embarqué par bateau.
Les bûcherons récupèrent la branche de pin et la débitent à 66 cm environ de long. Ils la vendent ou l’utilisent à faire cuire dans le grand chaudron le boudin lorsqu’on tue le cochon et les aliments (les buvées) destinés aux vaches laitières et aux cochons.
Pour faciliter son travail, le bûcheron se fabrique deux accessoires en supplément de son outillage avec une tarière et le bois à portée de main : la chèvre à deux pattes pour le sciage à hauteur des perches de taillis et des branches de chêne pas trop grosses avec la scie à bûches, et l’atelier à bourrées (fagots), espèce d’assemblage de bois formant un cadre de 60-70 cm de haut, surmonté de 3 montants verticaux de chaque côté et équipé d’une chaîne avec un levier pour mouler, serrer et lier les bourrées au fil de fer ou autre. Les gars les plus habiles disent qu’ils font leur cent bourrées par jour. Pour ne pas perdre l’habitude de nos ancêtres, on utilise Quelque fois la rouette, fine tige de bois vert que l’on torsade en faisant une boucle et un nœud coulant pour lier et torsader ensuite pour tenir lié. Les menus bois de débroussaillage, la branche de taillis, les branches fines de pins, de chênes et autres bois peuvent entrer dans la confection des bourrées.
Les bourrées avaient une diversité d’utilisation. Dans l’orne, se faire un abri, s’asseoir le midi pour déjeuner devant un bon feu quand on était trop loin de la maison. Ce simple abri remplace très modestement les anciennes loges que nous n’avons pas connues. Avec des bourrées, à défaut de bûcher couvert, on abrite le bois de chauffage empilé à l’extérieur près de la maison. On fait une flambée dans la cheminée lorsqu’on est mouillé par la pluie ou qu’on a subi un coup de froid. Elles servent à faire cuire le pain, celui que l’on fait encore chez soi dans le four à pain accolé à la maison au début des années trente, une fois par semaine, après l’avoir pétri et y avoir ajouté le levain de la semaine précédente. Ce pain que l’on apprécie même rassis. On le conserve la semaine dans un râtelier sous le plafond du local. Il garde un peu de sa moiteur sans se déprécier. Les chaufourniers des briqueteries, en les payant un prix raisonnable, achètent encore des bourrées au début des années 50 à des particuliers qui en confectionnent en quantité et les livrent ensuite.
On a perdu la coutume d’organiser, tous les ans en février, en l’honneur des jeunes mariés récents, un « branlon » (brandon). Pour cela, chacun des organisateurs (des jeunes) participe à la confection des bourrées en forêt ou dans les bois de particuliers, quelques centaines au total qu’ils entassent autour d’un mât - jeune pin fourni gracieusement par le garde forestier – jusqu’en haut (6 à 7 m), où l’on accroche un bidon d’essence. Vers les 8 heures le dimanche soir en présence de la foule, on met le feu au tas. Aussitôt, un bénévole adroit tire un coup de fusil dans le bidon d’essence. Tout l’ensemble s’enflamme dans un crépitement, donnant un spectacle magique. Un rafraîchissement et un bal prolongent la fête.
Pendant la deuxième guerre et les quelques années suivantes, certains peuvent se faire un complément de revenu en récoltant l’écorce de bourdaine. Ils la font sécher, elle est ensuite collectée et expédiée pour faire, paraît-il, de la poudre à canon. D’autres disent qu’on en extrait un produit qui entre dans la composition d’un médicament. Pouvait-on savoir ?
Des témoignages, des anecdotes.
Au 20ème siècle, on ne voit plus de bûcherons vivre dans des loges. Cependant, en 1936, une famille espagnole dont le chef est bûcheron loge dans un baraquement en forêt au « Rond des Fourmis ». Un enfant prénommé Daniel y naquit. Un couple de bûcherons homme et femme venant d’une commune voisine loge de même « Route des Gendarmes » en 1941.
Un ancien conseillait des jeunes : « Quand on bûche un taillis, on doit couper au ras du sol pour ne pas trébucher en marchant sur la souche, donner à celle-ci une forme de dôme pour que l’eau de pluie s’évacue facilement. Sinon, la souche pourrira et n’aura pas de repousse ». Que dirait-il aujourd’hui de la tronçonneuse ?
Désiré Salmon, de Lorris, a été débardeur-roulier depuis son jeune âge jusqu’à sa retraite. Il avait des chevaux dociles qui, sans qu’il ait besoin de crier, obéissent à la parole. Un jour, il avait sorti d’une journée une grande partie des grumes de la coupe. Le soir, avant de renter, il dit à l’ouvrier forestier qui se trouvait là : « Si tu vois le patron (l’exploitant forestier), ne lui dis pas que j’ai sorti tous ces grumes en la journée ». Craignait-il de gagner trop dans l’idée du patron ?
Dans les années 50 et 60 peut-être, on le voyait passer à Châtenoy vers les 11 h – midi se dirigeant vers Lorris assis peinardement sur son fardier à pneus pleins de grumes et tiré par deux chevaux, tenant bien leur droite sur la route. Certains disaient avoir vu Désiré dormir sur son fardier. Avec les chevaux, la route est longue !...
Camille Pasquet a fait aussi du débardage avec un cheval et une charrette. Lorsque la charrette s’embourbait et qu’il y avait difficulté pour s’arracher, Camille, toujours de bonne humeur, n’insistait pas. Il caressait le cheval en lui disant qu’on allait bien s’en tirer. Il sortait de sa musette la bouteille de blanc et en buvait un coup avant de dégager et de consolider si possible l’avant des roues et délester le chargement s’il le fallait. Puis il cueillait une tige de fougère ou quelque chose de léger qu’il appliquait sur le flanc du cheval en forme de caresse avec cette parole : « Allez ! Bijou, on y va ». Et d’un bon coup de collier, le tout partait d’un trait rapide pour bien s’en sortir. Il n’en est jamais resté ! C’était un témoignage de Camille.
Il y a une quarantaine d’années, un propriétaire forestier, lorsqu’il passait voir les bûcherons dans ses bois, disait en le constatant que c’était dommage de faire brûler sur place dans un grand feu les fines branches de taillis, chêne, sapin ou autres. On est bien d’accord avec lui sur ce sujet. Mais les récupérer en en faisant des fagots pour en avoir de moins en moins l’utilisation, c’était devenu inutile.
En 1938, 4 ou 5 ouvriers italiens assez jeunes qui prenaient pension chez Pelletier, café épicerie restaurant (aujourd’hui le Relais de Châtenoy), confectionnaient en forêt des traverses de chemin de fer à la hache. Ils ont séjourné à Châtenoy jusque dans les premiers mois de 1939. Un incident a marqué leur séjour chez nous. Ce devait être l’automne 1938. Les évènement, un de plus en septembre, nous inquiètent de plus en plus. L’Allemagne se montre agressive et envahit des territoires. L’Italie par son alliance et son soutien à l’Allemagne est devenue notre ennemie. Ce qui nous rend inconcevable et suspecte la présence de ces Italiens sur notre sol. Un soir, au café Pelletier, arrosent-ils un travail bien accompli, la paie reçue du patron, ou, qui sait ? Les succès de l’Allemagne ?... En consommant, ils chantent à pleine voix des chants italiens… Arrivé là par hasard, Marius Moreau, un ancien de 14-18, y ressent une provocation. Il les interpelle en leur disant que le moment est mal venu pour exprimer une telle joie. Il ajoute : « Demain, vous vous battrez peut-être contre nos soldats ». Ils se turent et l’incident fut clos sans autre discussion.
En 1941, semble-t-il, l’usine Gnome et Rhône de la région parisienne est dans l’obligation de cesser son activité. Pour ne pas que son personnel soit réduit au chômage, elle le met à la disposition de l’Administration des Eaux et Forêts en vue de son emploi à des travaux de bûcheronnage dans les dépendances du domaine du Canal d’Orléans et de ses rigoles d’alimentation. Ce personnel est logé dans les baraquements installés dans la propriété du Colombier à Coudroy (près de Grignon). Le contremaître du nom de Billon est dit-on le compagnon de Patachou, une vedette du spectacle. Un des membres du personnel du nom de Lassolle est affecté à la fabrication du charbon de bois au port de la Verrerie. Pour se loger, il dispose d’un baraquement et pour son travail de six fours, semble-t-il, (cuve et couvercle métallique) d’une contenance de plusieurs mètres cubes. De la charbonnette lui est amenée pour faire le charbon qu’il ensache, sitôt refroidi pour être emmené ensuite par camion équipé d’un gazogène. Lorsqu’il a chargé ses fours de charbonnette, puis recouvert, il doit les allumer le matin, les éteindre le soir pour respecter le couvre-feu imposé à la nuit tombante. Nous sommes sous l’occupation. Comme sa production n’est pas contrôlée, le père Lassolle, tel qu’on l’appelle, en profite à chaque fournée pour mettre quelques sacs de côté en vue de faire un « échange de calories » !... pour parer aux restrictions du moment. Avec un négociant en vins des environs, il troque plusieurs sacs de charbon contre un petit fût de vin bien plein qu’il cache soigneusement dans son baraquement à l’abri des regards indiscrets et parce que ce genre de troc là est interdit. Mais dans les moments où le petit fût est en service, il oublie de respecter le couvre-feu et les fours brûlent n’importe quand. Ce qu’il fit un des premiers jours de juillet 44 où il allume ses fours le soir. Dans une nuit d’été douce et calme où seules les étoiles brillent, un voile de fumée blanche s’étale dans l’air environnant. Vers une heure le matin, un avion allemand patrouillant à basse altitude mitraille l’endroit dans le sens aller et retour. Réveillés en sursaut à la ferme de la Jalousie, on se lève pour ne rien pouvoir constater. L‘avion a vite disparu. Mais où diable ont-ils tiré ?
Ce n’est que le matin vers 8 heures que nous allons savoir. Notre charbonnier arrive à la ferme pour se ravitailler en lait et en eau : « Ah ! les vaches !... J’ai eu chaud ! » dit-il dans un large sourire retrouvé. « Pas de bobo, quelques trous dans les fours »… et le petit fût intact ! Heureusement, les Américains vont arriver dans quelques semaines et tout danger de ce genre sera écarté.
Ainsi se termine cette évocation de souvenirs. Mais la forêt a bien d’autres secrets à dévoiler.
A la bibliothèque de Châtenoy, bien des ouvrages la concernant sont disponibles.
Raymond Lafaye, décembre 2003.