Bulletin municipal n° 20 (janvier 1993)
Le nom de Ménigault est familier à nos anciens de souche castanéenne. Et c’est Rémy Ménigault, enseignant retraité à Saran, qui nous apprend que François Ménigault, maire vers 1870, dont il
est question dans le bulletin précédent, avait un fils, épicier, prénommé également François, ce qui expliquerait l’acte curieux auquel il est fait allusion dans l’acte du 24 juillet 1876.
Rémy Ménigault a eu également l’amabilité de nous communiquer un document rédigé par un de ses ancêtres, notaire de Châtenoy de 1751 à 1777 ; à l’issue d’une étude sur l’église : « Voilà pour l’aspect matériel des lieux. L’histoire de leur aspect le plus important, l’aspect spirituel, reste à
écrire… » Eh bien le document en question renseigne sur ce qui s’y est passé dans le 3ème quart du 18ème siècle.
Nous sommes le 11 février 1775. Ce jour n’est pas choisi au hasard : c’est la fête de Saint-Séverin, patron de l’église paroissiale de Châtenoy-aux-Bois. Il s’agit de donner le plus possible de solennité à l’événement. Une messe célébrée et chantée par le prêtre-curé de la paroisse voisine de Beauchamps vient de se terminer. Jean Anceau, laboureur (c’est-à-dire paysan proprétaire) et syndic (élu pour faire exécuter les décisions de l’Assemblée Générale de la paroisse) a fait son travail. Les cloches ont sonné à la manière accoutumée pour convoquer les membres de l’assemblée. Ils sont arrivés devant les grandes portes de l’église, c’est-à-dire probablement à l’abri du caquetoir du petit édifice d’alors : messire Adrien Joseph Roussel d’Inval, chevalier, ancien lieutenant de cavalerie, qui a quitté son château de Beaumercy (lieu-dit actuel : Les Bruyères. Les fossés en sont restés visibles jusqu’à il y a peu. D’Inval fait irrésistiblement penser aux Dinvals voisins), Sieur Louis Rafard, préposé du vingtième (impôt établi sur les terres, les bâtiments, le vingtième du revenu), François Lecomte, François Rousseau, Jean Asselin, Pierre Rufier, François Morin, Etienne Bonneau, René Marois, Pierre Audouard, Jean Brosse, Louis Raffard le Jeune, Mathurin Jahan, tous laboureurs, Sieur Nicolas Roger, garde en la forêt d’Orléans, Antoine et Jean Lejarre, Louis Audouard, Nicolas Ville, Séverin Joudiou, Martin Lebert, manœuvres, Joseph Ville, meunier, quelques autres sont là aussi, ce qui fait que la plus grande partie des habitants sont représentés.
Est aussi arrivé, de Coudroy, requis par Jean Anceau le syndic, Jean-Baptiste Ménigault, notaire en la châtellenie de Saint-Benoist-sur-Loire, chargé d’enregistrer les décisions de l’assemblée. Jean Anceau commence par rappeler des faits : 18 ans plus tôt, en décembre 1857, le sieur Trouillot, curé de Châtenoy, a été exilé par ordre de sa majesté Louis XV (1857, c’est l’année où Damiens frappe le roi d’un coupe de canif à l’épaule. « Les Jésuites rendus parfois responsables contre toute vraisemblance du crime de Damiens seront expulsés » disent les livres d’histoire. Est-ce une explication de cette sanction ?). Le sieur Trouillot a été relégué au Donjon, paroisse au sud-est de Moulins, en Bourbonnais, duquel exil il s’est évadé et retiré à Chambéry en Savoie (Bourbonnais et Savoie étaient, à l’époque, territoire étranger). Depuis cette date, la paroisse de Châtenoy a été plusieurs temps sans prêtre et presque à l’abandon. Elle a été desservie par intervalles par des moines Cordeliers qui faisaient leur résidence à Bellegarde. Elle a aussi été desservie par le sieur Renault, abbé, mais qui a demandé son changement parce que son revenu n’était que de 300 livres par an (les prêtres ruraux, disent toujours les livres d’histoire, avaient
à peine de quoi se nourrir avec 400 livres, qui furent portées à 500 en 1768. Le curé de Châtenoy n’avait que les trois quarts du minimum).
Jean Anceau continue son rappel : les paroissiens ont eu aussi pour desservant un moine recollet du couvent de Montargis, lequel ne pouvant vivre de cette même paye est retourné à son couvent, de manière que la paroisse a encore été longtemps sans prêtre. Ensuite, il y est venu un autre prêtre recollet du même couvent qui, après quelque temps, voyant qu’il ne pouvait pas vivre non plus d’une somme aussi faible, était prêt à quitter la paroisse. Il n’en a pas eu le temps, puisqu’en septembre de l’année précédente (1774) il est décédé.
Cela fait donc cinq mois, continue le syndic, (et chacun approuve ces paroles) que la paroisse est restée sans prêtre, aucun n’ayant voulu venir la desservir, pour des raisons de revenu. D’où le triste état où se trouve la paroisse : les personnes meurent sans être munies des sacrements, les enfants ne sont pas baptisés, sans parler de tous les autres inconvénients. Depuis septembre, pas de messes ni de vêpres, la cérémonie de ce jour est la première.
Et Jean Anceau en arrive à cette décision : il s’agit de la part des présents d’élire l’un d’entre eux pour présenter requête auprès du Parlement de Paris afin d’être autorisé à demander à monseigneur le Cardinal de Luynes, archevêque de Sens, de les pourvoir d’un curé. Les membres de l’assemblée sont sensibles à l’éloquence et aux qualités de Jean Anceau puisque c’est leur syndic qu’ils choisissent à l’unanimité pour les représenter dans cette double démarche. Il présentera requête auprès des seigneurs du Parlement. Il espère qu’il pourra ensuite partir à Sens, pour y rencontrer l’archevêque, et obtenir la nomination d’un curé. Les membres de l’assemblée s’obligent à rembourser Jean Anceau des frais qu’il devra engager.
Et Jean-Baptiste Ménigault termine la rédaction du texte qui donnera son certificat sérieux et d’authenticité à la demande des habitants de Châtenoy : « Fait et arrêté à la porte de ladite église, lesdits jour et an, en présence de Pierre Lejarre, cabaretier demeurant au bourg et paroisse de Coudroy et d’Etienne Bouvry, manœuvre demeurant en la paroisse de Beauchamps, témoins à ce requis, ledit Bouvry a déclaré ne savoir signer, de ce enquis ».
Ceux qui le peuvent tracent leur nom sur le manuscrit… et pour nous se termine une tranche de vie.