Bulletin municipal n°28 (1997)
Origines des renseignements : registres des délibérations de Châtenoy, archives de Châtenoy déposées au Service Départemental des Archives, Atlas historique de Georges Duby, Histoire du Loiret, témoignages.
Les archives ne contiennent pas de sentiments, elles ont emmagasiné des listes de noms, des chiffres, des messages… Mais on peut imaginer l’étonnement et la crainte qui ont dû saisir la population devant tous ces « étrangers » qu’elle a pu voir en 1870 et 1871, qu’ils soient Prussiens, Corses ou Alsaciens… Des hommes du village sont partis, ils ont vu des horizons nouveaux… Il a dû y avoir, pour certains, des privations supplémentaires, des peurs, mais il n’y a eu, semble-t-il, aucun incident grave.
Les origines du conflit.
Elles correspondent d’une part à la volonté prussienne d’achever l’unité allemande, au désir de Napoléon III de rehausser le prestige terni de son empire d’autre part.
Son déroulement.
La guerre commence le 19 juillet 1870, dans de très mauvaises conditions pour la France. L’Alsace est abandonnée en 8 jours, l’armée de Lorraine enfermée dans Metz, la 2ème armée française capturée à Sedan le 2 septembre, Napoléon III à sa tête. Les armées prussiennes occupent tout l’est, mettent le siège devant Belfort, Orléans, Paris. L’armistice sera signé le 28 janvier 1871. Le soulèvement populaire de la Commune éclatera le 18 mars.
Dans la région.
11 octobre 1870 : repli de l’armée en déroute de la Motte-Rouge par Bellegarde, Orléans est occupée par Van der Thann.
10 novembre 1870 : Coulmiers reprise par Aurelle de Paladines.
20 novembre 1870 : Le 20ème corps d’armée (40 000 hommes, 3 régiments de cavalerie, 60 canons) s’installe à Bellegarde et dans ses environs.
28 novembre 1870 : bataille de Beaune-la-Rolande, dernière offensive de la 1ère armée de la Loire.
A Châtenoy (Le Châtenoy de l’époque compte beaucoup moins de maisons mais le double d’habitants, environ 600).
Par un décompte des services du Génie, on apprend qu’en septembre et octobre 1870, des travaux de défense ont été effectués en forêt d’Orléans, sous les ordres du service des Forêts. Ils ont impliqué 44 castanéens, qui travaillaient à 3 F la journée. Le total des journées a été de 533, ce qui représente une douzaine de journées par individu.
Les 28 et 29 octobre 1870, les Prussiens sont arrivés. Ils se sont comportés à Châtenoy comme chez eux. Ils se sont servi, « poliment » d’ailleurs, sauf chez Renard, aubergiste, où ce fut le « pillage ». (Mais étaient-ils à jeun ?)
D’après les « prises » faites, on peut imaginer les activités des victimes. Pour l’énorme majorité, et ce n’est pas une surprise, ce sont des agriculteurs : Asselin Pierre, Bideau, Boulet, Bureau Jean, Charpentier, Chartier Ambroise, Clindoux, Codiasse François, Cribellier Paul, Geniette, Jacob François, Lebout, Moreau Alexandre, Moreau Baptiste, Moreau François, Moreau Codiasse, Morela Constant, Morin Fiacre, Pelletier Dupré, Pivoteau Alexis, Sifflet Célestin, Thoreau Louis, Ville. Il faut ajouter Aubin Joséphine, domestique, Beauvillard, garde-forestier, Louste, maréchal-ferrant, Ménigault, épicier, Renard Cléophas, aubergiste maréchal-ferrant, Thouron, curé.
Ce qui a été pris concerne la nourriture et l’entretien des chevaux : du foin, 45 bottes, pour 14 f environ le tout ; de l’avoine, 45 hl, à 13 f l’hl ; 5 kg de clous à 12 f.
Cela concerne surtout les hommes : environ 500 l de vin à 0,6 f le litre ; 2 l d’eau–de-vie à 1,5 f le litre ; de la liqueur pour environ 50 f ; 5 l de cognac à 2,25 le litre ; des fournitures d’épicerie pour 20 f ; 9 vaches, de 150 à 250 f l’unité ; 4 taures, de 40 à 75 f ; 3 veaux, de 35 à 72 f ; 2 moutons, à 15 f l’un ; 4 porcs, de 22,5 à 35 f ; 25 kg de porc salé, pour 25 f ; de la viande pour 32 f ; 50 pains environ, de 1,6 à 2,2 f l’un ; 2 hl de farine (15,2 et 21 f) ; 20 cierges à 1 f l’unité ; 3 soupières à 1 f ; 3 saladiers à 1,3 f ; 17 pelotes de laines à 0,9 f ; du linge, des vêtements, des chemises (66 f) ; 4 sacs de toile pour 12 f le tout. Il faut ajouter du bois, des chandelles et des couvertures.
Enfin, des dommages ont été causés aux cultures (125 ares de blé, évalués à 175 f).
A propos des pains, un castanéen de souche, Jean Pilaudeau, se souvient avoir entendu dire qu’au Champ de l’Orme, les Prussiens les ont pris tout chauds dans le four. Il se souvient également que les prises n’ont pas été à sens unique. Son grand-père était domestique aux Dinvals (aujourd’hui la ferme de Philippe Vacher). A cause des événements, il était en état de manque de tabac. Les Prussiens sont arrivés. Ils ont évacué les écuries pour s’y installer avec armes, chevaux, bagages, … et cigares.
Profitant d’un moment d’inattention, le candidat fumeur s’est servi mais le retour des Prussiens l’a obligé à se cacher dans le foin du grenier, que les soldats, constatant le larcin, ont ausculté à coups de baïonnettes. Heureusement, il ne s’est pas trouvé sur leurs trajectoires, et heureusement encore, les Prussiens sont partis le lendemain. Il en a été quitte pour une grosse frayeur.
Autre témoignage, celui de Madame Roger Jahan, née Perenet : son père, deux ans en 1870, disait qu’il y avait des Prussiens à Cossenet et qu’il tirait les crosses des fusils qu’ils tenaient en bandoulière.
Le 26 janvier 1871, Châtenoy est invitée à payer sans délai à la « commandanture » prussienne de la place d’Orléans une somme de 13 350 F.
Le 22 février 1871, des propriétaires de la commune ont fait des versements pour « remplir le montant » des demandes prussiennes : Moreau Codiasse (300 f), Ménigault François (100 f), Blondeau Joseph (100 f), Asselin Pierre (100 f), Chartier Ambroise (100 f), Renard Cléophas (100 f), Bourgeois Valéry (200 f), Moreau Alexis (100 f), Asselin François (150 f), Bourillon (50 f), Morin Fiacre (100 f), soit 1 400 f. Ces sommes qui rapporteront un intérêt de 4 % seront remboursées aux propriétaires par un crédit ouvert au budget supplémentaire. (Des courriers du Préfet montrent que, pour des raisons administratives, cette opération sera plus complexe que prévu.)
Du 12 au 16 mars 1871, les habitants du bourg de Châtenoy ont logé ( !) 1 520 hommes de l’armée allemande.
Les troupes françaises, elles, n’ont pas pris, elles ont réquisitionné, à l’aide de bons. Ces réquisitions ont concerné Avezard Louis, Chartier Ambroise, Combord, Deslandes Célestin, Deslandes Alexandre, Dupré (de la Haute Têtière), Goget Etienne, Jahan (de la Garenne), Jahan Baptiste (de la Sablonnière), Lebout, Ménigault François, Moreau Baptiste, Morin Fiacre, Morin Nazaire, Morelet Ambroise, Patrolin Père, Pelletier Bertrand, Pelletier Vincent, Pivoteau Baptiste, Prochasson Pierre, Raffard Louis, Renault Matthieu, Sauton Eugène, Thoreau Louis, et le maire de Châteauneuf ( ?).
Elles ont porté sur des fagots, du bois de chauffage, du fourrage, du service d’ambulance (Châtenoy à Bellegarde, et, deux fois, des transports de blessés de Bellegarde à Orléans), de l’orge, de l’avoine, de la paille, un cheval avec voiture, de l’épicerie (café, sucre, riz, sel) de la viande, du pain, de l’eau-de-vie, des poules, un cheval avec tapissière.
Leurs bénéficiaires ont été, au hasard des bons, les gardes mobiles du Haut-Rhin, les gardes mobiles corses, le 3ème zouave, l’armée de l’Est, le 67ème régiment de marche, les francs-tireurs du 20ème corps, l’armée de la Loire, le 3ème régiment de marche du 18ème corps, la 3ème division de l’armée de la Loire.
Un mémoire des dettes de l’armée française vis-à-vis de Châtenoy a été établi le 30 juin 1871. Il a été « vu et approuvé comme sincère et véritable dans toutes ses parties, la présente note s’élevant à la somme de 6 447 francs 86 centimes» par les élus de la commune. Les mêmes élus ont accepté sans commentaires (écrits) la note suivante datée du 21 août : « Le présent état rectifié d’après les indications de Monsieur l’Intendant s’élève à la somme de 2 076 francs 20 centimes. » Voilà un intendant bien efficace dans sa lutte contre la sincérité et la vérité.
Une affaire apparemment ridicule va empoisonner longtemps les relations entre le garde-forestier Beauvillard, certains propriétaires et la commune. Le préfet est obligé d’intervenir pour qu’on rembourse au garde 40 F qui lui restent dus sur 4 sacs d’avoine.
Un autre courrier, du 22 mars 1873, (2ème commission des liquidations de l’armée, 1ère armée de la Loire) parle de dégâts provoqués par les troupes régulières de l’armée française dans la nuit du 23 au 24 novembre (1870).
Les habitants de Châtenoy, ont-ils participé directement à la guerre ? Oui, bien sûr. 25 ont été mobilisés : Désiré Asselin, Louis Bassin, François Blondeau, François Combord (marié, 3 enfants), Louis Goget, Pierre Labsolu (marié, 2 enfants), Georges Paupardin, Pierre Pelletier, Etienne Prochasson, et plus précisément dans les Gardes mobiles : Antoine Asselin (marié), François Asselin, Jules Asselin, Louis Asselin (marié), Victor Béchu, Albin Blondeau, Jean Combord, Jean Cribellier, François Desnoyers (marié), Pierre Goget, Etienne Lemelin, Etienne Moreau, Etienne Pilaudeau, Jean Pilaudeau, Ernest Rousseau, Eutrope Thévenin.
Ils viennent des classes 60 à 69 (Ils ont entre 21 et 30 ans). Sur 25, 11 sont déjà orphelins de père, 5 n’ont plus de mère et 4 n’ont ni père ni mère. (C’est impressionnant pour le Français d’aujourd’hui qui compte sur une forte espérance de vie). Cinq sont mariés. Ils vont rejoindre les 5, 94, 14, 24, 25, 35, 38, 64ème régiment de ligne. Leurs parents ont en moyenne 4 enfants (7 chez les Moreau), 8 sont déclarés vivre dans l’aisance, 14 dans l’indigence, et 3 dans l’indigence absolue. Des secours, sous forme d’un versement unique ou mensuel, sont accordés à certaines familles de soldats pour compenser le manque à gagner que leur départ représente.
La seule victime, toute relative, dont il est question dans les documents, est Louis Goget, de la classe 67. Il a été incorporé au 24ème régiment de ligne le 21 juillet 1870. Il a fait la campagne contre l’Allemagne en 1870-1871. Il a fait partie de l’armée du Rhin du 29 juillet 1870 au 12 juillet 1871. Blessé d’un coup de feu à la gorge, le 6 août 1870, à la bataille de Spicheren, dans le département de la Moselle, il est resté en captivité à Posen du 6 août 1870 au 12 juillet 1871.
L’épisode de 70 aura une retombée pacifique sur la commune sous la forme d’un capitaine que la guerre rendra célèbre, qui épousera la jeune héritière du château de la Rivière, et qui deviendra le général Brugère.
Etat des pertes après le passage des Prussiens
Les pertes faites par Châtenoy se composent seulement de quelques hectolitres de vin et de la contribution en argent payée à l’ennemi. Les habitants ont souffert davantage dans le bourg du pillage de quelques magasins et dans la campagne de l’enlèvement d’animaux de boucherie et de provisions pour la nourriture des chevaux.
Le nombre des soldats qui ont séjourné dans le bourg est très petit.
Dépenses Commune Habitants
1° Nourriture des troupes : Bestiaux, vins, grains, farine, pain, volailles, pommes de terre et autres objets de consommation……….. 100 5 194
2° Nourriture des chevaux : paille, foin, avoine, etc……………………….............................….. 468
3° Divers : chevaux et voitures. Bois, draperie, quincaillerie et
autres marchandises. Instruments de travail. Linge, vêtements,
mobilier et immeubles. Transport, etc…………………………………………………................. 1 070
4° Nourriture partielle ou totale et chauffage des troupes logées
chez les habitants……………………………………………………………………………………….. 626
5° Contribution de guerre ou argent volé………………………………………………. 1 400 150
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Totaux…………………………............................................................................ 1 500 7 500
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Ensemble ……………………. 9 000 fr
Soit 17 fr par habitant.