Bulletin municipal n° 5 – juillet 1985
Orléans, août 1846.
« Monseigneur,
Le 18 juillet dernier, des habitants de la commune de Châtenoy ayant tué un loup enragé qui avait mordu deux jeunes gens de St Martin d’Abat, j’annonçais à M. le Maire que j’accordais une gratification de 100 f à répartir entre ceux qui avaient fait preuve de courage dans cette circonstance.
Je crois devoir vous adresser en communication la réponse que j’ai reçue à cet égard de M. le Maire de Châtenoy. Elle vous prouvera le désintéressement et les sentiments religieux dont sont animés ces braves habitants, qui, d’un commun accord, ont manifesté l’intention d’abandonner cette somme à la fabrique pour l’achat de livres et d’autres objets nécessaires à l’exercice du Culte.
J’ai fait connaître à M. le Maire la satisfaction que me faisait éprouver cette résolution et je pense, Monseigneur, que vous aimerez à la partager.
J’ai l’honneur d’être avec une respectueuse considération, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Le Préfet du Loiret. »
Le loup est là et, de plus, enragé ! Il sera l’occasion pour une population, bien pauvre généralement, de faire don (spontanément ?) d’une belle somme et de mériter ainsi les louanges d’un préfet (Henry-Léonce Vallet de Villeneuve) très soucieux de plaire à l’évêque d’Orléans.
Les loups, on les retrouve dans une lettre datée du 13 juillet 1853 et écrite à Châteauneuf par le Garde Général des forêts :
« Monsieur le Maire,
Etant délégué par M. le Préfet du Loiret pour diriger la battue aux loups demandée par Mrs les maires de quelques communes voisines de la forêt d’Orléans,
J’ai l’honneur de vous informer qu’une battue aux loups aura lieu dimanche prochain 17 du courant dans les bois situés communes de St Martin, Bouzy et Châtenoy. Le rendez-vous général est fixé sur la route de Vitry à Vieilles-Maisons lieu-dit Les Bruyères Franches à 7 heures du matin. Veuillez je vous prie faire choix d’un bon nombre de tireurs et de batteurs qui devront se trouver ce jour-là au lieu indiqué. »
Les voici dans un certificat rédigé par le maire, Moreau, le 22 juin 1854.
« Nous maire de la commune de Châtenoy, canton de Châteauneuf, (Loiret) certifions que le sieur Bidault, bûcheron, domicilié à Châtenoy a pris trois petits louveteaux, au canton de l’Etang Pivert (Forêt d’Orléans) hier 21 juin, lequel nous les a présentés aujourd’huy et à chacun desquels il a coupé un morceau de l’oreille droite en notre présence et qu’il nous les a remis. »
Les loups de notre forêt, si personne aujourd’hui ne peut dire les avoir vus, ils restent pourtant présents, très présents, dans la mémoire de ceux qui en ont entendu parler. On comprend que la peur du loup et du loup-garou continue à faire recette dans les cours d’école : « Lous, y es-tu ? Loup, que fais-tu ? » Ecoutons un castanéen, M. Paul Asselin : « Vers le début d’octobre 1855, mon grand-père – il avait alors huit ans – gardait les vaches dans les terrains vagues, en compagnie des enfants Bassin, aux Cossenets (M. Asselin préfère prononcer Cochenets). Les enfants Bassin, eux, gardaient des moutons. Tous ont à un moment abandonné leurs troupeaux, se sont éloignés de deux cents mètres environ pour aller faire brûler des ajoncs. Les gardes étaient à ce moment-là occupés à la vente des vagues. Les enfants ont alors aperçu un loup venu prendre un agneau qu’il a d’ailleurs abandonné parce qu’on a couru après avec les chiens ». M. Asselin continue :
« Vers 1860, peut-être avant, le père Moreau – il avait 7 garçons – mettait les bêtes pacager en forêt. Il y a laissé un soir un taureau qui ne voulait pas rentrer. Les loups l’ont dévoré pendant la nuit. »
En ce qui concerne les terres vagues, ou vagues de la forêt …
Des villages forestiers comme Châtenoy partaient paître des troupeaux de porcs, moutons, bovins, chevaux (les chèvres étaient exclues), ce qui constituait un avantage évident pour la population, mais la croissance et la reproduction des arbres de certaines zones étaient compromises par le passage des animaux. Cette pratique – et une mauvaise gestion – finirent par ne laisser sur certaines parcelles que broussailles, bruyères, ajoncs. On appelait ces parcelles des vagues. Elles furent l’objet de vente à partir de 1855, ventes compliquées, car l’Etat vendeur et les particuliers acquéreurs devaient compter avec le droit d’usage des communes qui risquaient de perdre là des avantages ancestraux. Les marchandages furent parfois âpres, … sauf si les conseillers municipaux étaient eux-mêmes acquéreurs ! En ce qui concerne les loups…
En 1666, ils font beaucoup de victimes à Boiscommun, Batilly, Nibelle…
En 1712, une bonne centaine de forestiers sont dévorés en moins d’une semaine… Dans la période qui suit l’année 1810, plus de 550 loups sont exterminés en huit ans…
Une loi de 1882 fixe le tarif des récompenses : 100 francs or pour un adulte, 40 pour un louveteau et un supplément de 50 francs pour une louve prête à mettre bas…
En Sologne, le dernier loup sera abattu, semble-t-il, en 1911 près de Romorantin…